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2014


La longue histoire de Vohemar - 2ème partie : des traitants aux colonisateurs

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15 décembre 2014

Vohemar - gravure de 1887
Vohemar - gravure de 1887

Entre le XVème siècle et le XIXème, l’importance de Vohemar comme « échelle » du commerce semble diminuer. Cependant, Vohemar va être régulièrement visité par des traitants, notamment par les français. Et c’est surtout à eux que nous devons le peu d’informations que nous avons sur cette période de la vie de Vohemar

Les premiers traitants

Qu’appelait-on la « traite  » au XVIIème siècle ? Pour nous, il s’agit surtout du commerce des êtres humains, et notamment de la « traite des noirs ».
En fait, à l’origine, la traite est une activité commerciale qui, au départ consiste à échanger des produits locaux ( grains, produits de la mer, de l’élevage et ...des esclaves !) contre des marchandises d’importation, notamment des objets manufacturés comme les fusils ou les étoffes.
A Madagascar, pendant longtemps, la traite fut pratiquée par la Compagnie des Indes qui avait installé plusieurs comptoirs sur les côtes malgaches, jusqu’à sa ruine en 1769, époque où la traite devint monopole du roi de France. C’est Mayeur qui nous fournit le premier récit d’un français à Vohemar . C’est en tant qu’agent commercial au service de la Compagnie que Nicolas Mayeur arrive à Madagascar, en 1762, à l’âge de 15 ans. Il y restera 26 ans. Parlant parfaitement le malgache, Mayeur deviendra l’ami de plusieurs « Mpanjaka »(rois)malgaches. Il deviendra également l’adjoint du baron de Benyowski, aventurier qui s’intitulera « roi de Madagascar ». Mayeur a parcouru le nord de Madagascar en 1775. C’est à lui que nous devons l’évocation des ruines de Vohemar : « Le 14, je partis pour me rendre à Voyémare, rivière que domine un gros morne de ce nom, situé sur le bord de la mer à quelques lieues dans le S. de Loukay (Loky). On voit un peu avant d’arriver dans le S. de Voyémare les restes de deux bâtiments en pierre de forme carrée, lesquels paraissent anciens. Ces monuments ne sont point l’ouvrage des gens du pays, aussi est-il de tradition chez eux qu’ils ont été bâtis par des blancs qui habitèrent autrefois cette partie de l’île. Il y avait alors, selon eux, une pointe de terre qui s’étendait fort au large et formait un port très beau, très spacieux, très sûr, où les vaisseaux étaient parfaitement à l’abri ; mais un fort ouragan ayant submergé la pointe, le port se trouva détruit et bientôt comblé ; une suite naturelle de ce désastre fut l’abandon de l’établissement et la retraite des blancs.... Le 29 (je) partis avec neuf hommes seulement pour me rendre à la baye (baie) de Voyémare qui porte chez les noirs le nom de Heharang (Iharana) ou Tsiarangbazaa, ce qui signifie Port des Blancs.»
Mayeur sera suivi, dès 1786, par le traitant Lassalle qui accompagne également Benyowski dans ses explorations intéressées. Nous apprenons, par son Mémoire sur Madagascar qu’il ne s’intéressa pas beaucoup à Vohemar : « Le 8 janvier 1786, nous partîmes pour la baie de Vohémare, traversâmes une partie de l’Ile et, après six jours de marche arrivâmes à la rivière de Manambato dont le fond est d’un sable si jaune, si luisant, que nous le crûmes d’abord de l’or. On trouva sur une hauteur, à peu de distance de là, une mine de plomb dont les habitants ne connaissent pas l’avantage : elle me parut facile à exploiter. Le 21, nous continuâmes notre route et le 24 nous dûmes coucher à un village chef-lieu appelé Bemongot [...] Le chef nous invita de faire le serment de sang et d’amitié, ce que nous acceptâmes. Peu après, il nous apporta des morceaux de minéraux en nous désignant l’endroit de son pays où il y en a en abondance. Je fus envoyé le reconnaître et j’y trouvai les mines dont ce chef avait parlé. On réduisit cette matière dans un creuset, et elle rendit de la belle marcassite : on pouvait l’exploiter à peu de frais. Etant dépourvus de tout, il nous fallait cependant renoncer, non sans conserver l’espoir de le faire dans un tems (sic)plus heureux. Le 30, nous partîmes, et, le 3 février, nous étions à la baie de Vohémare, qui n’offre rien d’intéressant ». Déçu par Vohémar, Lassalle est cependant professionnellement intéressé par les prairies des environs qui, remplies de bœufs et de chèvres, produisent du bon tabac, de la cire jaune et du miel excellent. Quant aux bords de mer :, ils « fournissent beaucoup d’ambre gris et des tortues que les naturels pêchent et dont ils vendent l’écaille ».
Les témoignages de Mayeur et de Lassalle sont sans ambigüité : ils nous renseignent sur les produits convoités par les traitants... Ceux qu’achetaient déjà les « Arabes »(et sans doute continuent-ils à le faire à cette époque) : l’ambre, l’écaille de tortue, les bœufs, mais on voit poindre aussi l’intérêt pour les produits qui vont servir à l’industrie en train de se développer en Europe : les produits miniers. C’est encore, et de plus en plus, le mobile des voyages qui seront effectués au début du XIXème siècle. C’est en tous cas le mobile initial de Leguevel de Lacombe qui va parcourir tout Madagascar entre 1823 et 1830. Arrivé dans l’Ile pour y faire du commerce, il va –grâce à sa connaissance de la langue et des mœurs malgaches– devenir l’ami de personnages importants et participer à l’expédition des troupes merina dans le Nord..

Les hostilités entre Hova et Antankarana

Mettant à exécution le souhait de son père, Andriapoinimerina, de « faire de la mer la limite de son royaume », le roi Radama 1er organisa en 1824 une expédition dans l’Est et le Nord de Madagascar.

Les guerriers du nord

Les guerriers du nord

Admis à suivre l’expédition de l’armée hova dans le Nord, Leguevel de Lacombe va étudier les ressources du pays, comme il l’avoue dans son Voyage à Madagascar et aux Iles Comores. « Nous marchâmes pendant trois jours, nous dirigeant vers le nord ; le soir, nous étions toujours forcés de camper, car si nous arrivions dans quelques villages abandonnés, nous n’osions pas nous y arrêter, dans la crainte d’être surpris par les Antancars qui n’étaient pas encore soumis aux Hovas, et contre lesquels l’expédition avait été particulièrement destinée. Ces propositions m’étaient d’autant plus agréables qu’il m’eût été difficile de parcourir, sans son appui, une étendue de plus de cent cinquante lieues dans un pays composé d’une infinité de petits districts sauvages qui n’étaient pas encore soumis aux Hovas ». Les étapes de la marche lui permettent d’étudier le terrain comme en témoigne son récit d’une halte à Ranomafana : «  La source coule sur du sable brun qui ressemble à de la limaille de fer couverte de rouille. Je ramassai en cet endroit plusieurs échantillons de sulfate de fer ». D’autre part, le récit de Leguevel de Lacombe nous permet de suivre la progression des hostilités entre Merina et Antankarana dans la région de Vohemar. Dans le chapitre VI de son Voyage à Madagascar Leguevel de Lacombe décrit comment « L’armée hova est surprise par les Antancars » :
« Le lendemain, 14 novembre, nous avions fait environ trois quarts de la journée au N. et nous allions faire halte près d’un bois afin de choisir des hommes pour éclairer notre marche, car Ratef craignait une surprise, lorsque nous fûmes attaqués par les gens du pays qui sortaient du bois en poussant des cris ; ils étaient au moins cinq mille ; quelques-uns étaient armés de fusils, mais le plus grand nombre n’avait que des zagaïes.(sic) Les Hovas, qui n’étaient pas préparés à cette attaque, ne purent résister au premier choc et perdirent d’abord quelques hommes ; cependant ils ne tardèrent pas à se rallier et à mettre l’ennemi en déroute : nous les poursuivîmes dans l’ouest. Surpris par la nuit, il nous fallut camper près d’une rivière. Un grand nombre d’ennemis avaient été tués dans cette affaire, mais nous n’avions pas pu faire un seul prisonnier, parce qu’ils avaient eu soin d’enlever tous leurs blessés dans le combat. Il était déjà tard lorsque, le 15 novembre, nous levâmes le camp après avoir eu beaucoup de peine à trouver des pirogues pour traverser la rivière ; sur la rive droite, le major Ratsivola nous quitta avec un bataillon pour se rendre à la baie de Vouëmaro par la côte. Cinq heures après, pendant que les soldats dispersés s’occupaient à chercher des vivres, ils furent encore attaqués et perdirent six de leurs hommes ; l’un d’eux était le capitaine Rafali, que le général regretta beaucoup. Malgré cette perte, les Hovas n’eurent pas de peine à repousser l’ennemi qui était mal armé et combattait sans ordre ».

 

Le gouvernement hova de Vohemar

Cependant, mieux armés et entraînés, les troupes de Radama obtinrent la soumission du roi Antankarana Tsialana Ier et installèrent des postes militaires à Ambohimarina (Montagne des Français) et à Amboanio près de Vohemar. La région d’Iharana (Vohemar) fut détachée du royaume antankara pour devenir un gouvernement sous l’autorité merina. Tsimandroho, un prince sakalave qui avait combattu avec les Antankarana et qui avait fait soumission fut nommé gouverneur de Vohemar. S’étant révolté contre les Merina, il dut s’enfuir en 1835. La « partition »de Vohemar avait pour les Merina un intérêt plus grand que la possession de la désertique région de Diego Suarez. Un intérêt économique d’abord, grâce à l’activité de son port fournissant de confortables revenus en droit de douanes ; un intérêt politique ensuite dans la mesure où elle affaiblissait la domination antankarana.

Les accords franco-antankarana

Le Roi Tsialana et sa suite.  Au premier plan au centre :Tsialana, à gauche Tsiharo (fils de Tsialana), à droite Fahavana (frère de Tsialana)

Le Roi Tsialana et sa suite. Au premier plan au centre :Tsialana, à gauche Tsiharo (fils de Tsialana), à droite Fahavana (frère de Tsialana)

A la mort de Tsialana Ier, qui, jusqu’au bout avait essayé de refouler les envahisseurs, son fils Tsimiharo lui succède. Animé d’« une haine profonde et d’un vif désir de vengeance » (Guillain) il tente de reconquérir son royaume. Trahi et vaincu, il doit se réfugier dans l’archipel des Mitsio et demande l’aide de la France. Par le traité du 5 mars 1841, il cède à celle-ci tous ses territoires, notamment toute la province de Vohemar. Mais la France se refusant à toute action armée contre les Merina, les Antankarana lancent une série d’actions contre ces derniers. En 1842, une expédition contre la garnison de Vohemar, se traduit par la mort de nombreux soldats et officiers Merina. Les Antankarana s’attaquent aussi aux européens. En 1845, « un colon de Vohemar se plaint pour la troisième fois au commandant de Nosy Be, après avoir perdu une première fois 40 bœufs, 5 esclaves, 12 paires d’anneaux d’or et du linge ; une autre fois 62 bœufs sans compter les menaces adressées à ses maromita (porteurs) et sa femme, dépouillés des pieds à la tête » (Micheline Rasoamiaramanana). En fait, Vohemar restera occupé par les troupes merina jusqu’à la colonisation de Madagascar, 50 ans plus tard, et de plus en plus d’européens, et surtout d’indiens viendront s’y installer.
Vohemar restera un port de traite mais, dans la seconde partie du XIXème siècle les préoccupations mercantiles des voyageurs se doubleront de plus en plus de visées coloniales.
(à suivre)

■ Suzanne Reutt


La longue histoire de Vohemar - 1ère partie  : Les Rasikajy

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2 décembre 2014

Une carte de 1797 présente Vohemar comme un des seuls ports de la cote nord-est de Madagascar

Une carte de 1797 présente Vohemar comme un des seuls ports de la cote nord-est de Madagascar

L'histoire de Vohemar est liée à ce que l'on appelle « les échelles », c'est à dire les comptoirs commerciaux établis dans les ports qui servaient d'escales aux bateaux arabes de l'Océan Indien

Les premiers habitants de Vohemar

Bien que les estimations sur la naissance de Vohemar diffèrent selon les historiens, il semble que l’on puisse dater l’établissement de la ville vers les XIIème ou XIIIème siècle. Par qui aurait-elle été fondée ? Certains (Beaujard) parlent de migrations austronesiennes, d’autres d’une ville musulmane « issue des Maures de Malindi » (Vernier et Millot). Si la population actuelle se réclame des Anjoaty, ces islamisés dont nous avons souvent parlé, une lointaine tradition parle d’une civilisation « Rasikajy » qui aurait totalement disparu ne nous laissant que des sépultures qui ont été largement étudiées mais qui gardent encore des secrets non élucidés.

Que signifie ce nom de «Rasikajy»?

Si certains expliquent le nom par « Ra-Sheik-Hadjy » (les hommes du Sheik, c’est à dire de Mahomet) d’autres voient dans la première particule le mot « ra’s » signifiant « cap » (rasi en swahili). Rappelons que le navigateur Ibn Mâjid» appelle le cap d’Ambre « ra’s-al-milh », c’est à dire cap du sel. Les Rasikajy seraient donc, selon J.C.Hebert, ceux qui habitent le Rasi-Hadji, le cap des descendants de Mahomet, donc des musulmans. Ceux-ci se seraient installés sur un « cap » aujourd’hui disparu. En effet, la tradition orale parle d’une « baie spacieuse à l’embouchure de la rivière de Vohemar mais, dans une furieuse tempête, la pointe avait été submergée » (Claude Allibert).

Une ville cosmopolite

Le portugais Diogo de Couto, évoquant l’exploration de Lobo de Sousa en 1557 écrit : « Les Maures de la côte de Malindi qui viennent d’ancienne date à Madagascar, y ont fondé deux villes, où vivent encore leurs descendants sous l’autorité de Cheiks ; l’une est dans une île située au milieu d’une baie nommée Manzalage dont nous allons parler tout à l’heure, et l’autre sur la côte Nord-Est dans une autre baie nommée Bimaro » (Vohemar). En fait, il semble que le port, escale de navigateurs de toutes origines, ait eu très tôt une population cosmopolite. Grandidier, dans son Ethnographie de Madagascar résume ainsi ce métissage : « les premiers comptoirs permanents qui ont été établis [...] semblent l’avoir été par des arabes venus de Malindi, arabes sunnites [...] Mais les navires qui y venaient annuellement de l’Arabie, de l’Afrique et de l’Inde, y ont amené des musulmans de races diverses et des banyans de Cambaye, qui, voyageant sans leurs femmes, ont donné naissance à Madagascar...à des métis de toutes les couleurs et de tous les types ».
Si la longue présence musulmane à Vohemar ne fait aucun doute, il n’en est pas de même d’une éventuelle présence chinoise, avancée par certains en raison d’une grande ressemblance entre les fragments de poteries découverts à Vohemar et certaines poteries chinoises. Il n’est pas impossible que ces céramiques aient été occasionnellement déposées par des navigateurs chinois mais il est plus probable qu’elles aient été apportées par les commerçants arabes.
Enfin, à partir du XVIème siècle les cartes marines portugaises témoigneront du passage des navires portugais à Vohemar. Nous savons notamment que certains bateaux de la flotte de Tristan de Cunha, ayant pour mission d’explorer la côte est de Madagascar en 1514, commercèrent avec les habitants de Vohemar.

Certains évoquent même une présence arménienne à Vohemar.

Le nom de la ville

Dès le XVème siècle, le navigateur Ibn Mâjid mentionne un Bimaruh qui désigne sans doute l’actuel Vohemar. En 1514 les portugais évoquent « un port du nom de Bemaro ». En 1526 Vohemar est appelé « Reis Bimar », nom à l’origine, sans doute, de Bimaruh et B(o)maro. Ces deux noms, dérivant du nom du sultan Bimar, seront transformés en « Vohemar » dès le XVIIème siècle. Flacourt, le gouverneur de Fort-Dauphin écrit ainsi : « Mais j’ai appris qu’il y a une Province, ou bien tout ce trait de terre et de côte de mer qui s’appelle Vohemaro, et dans la carte par les Portugais Boamaro, où il y a des blancs dès longtemps : là le riz se cultive comme à Ghallemboulou ».
Mayeur, au XVIIème siècle parle de « Heharang » (Iharana) ou Tsierangbazaha, ce qui signifie « le port des blancs ». Plus tard, en 1867, Guinet déclare : « Vohemar, appelé par les indigènes Vohimarina ou Hiara, prend son premier nom d’une montagne plate au fond de la baie et son deuxième nom du grand banc de corail qui forme la baie à l’est ». Bimaruh, Bemaro, Vohemar, parfois Vohimarina, Iharana, et même peut-être Ben’Ismaël d’après la carte d’Ibn Mâjid : l’examen des cartes anciennes témoigne à l’emplacement de Vohemar d’une ancienne présence d’un port connu et fréquenté par les navigateurs de nationalités diverses.

Vohemar riche comptoir commercial

Photos de miroirs et autres petits objets en porcelaine prises par Vernier entre 1941 et 1946 à l’Académie malgache à Tsimbazaza. Ces objets proviennent des fouilles réalisées à Vohemar quelques années plus tôt.

Photos de miroirs et autres petits objets en porcelaine prises par Vernier entre 1941 et 1946 à l’Académie malgache à Tsimbazaza. Ces objets proviennent des fouilles réalisées à Vohemar quelques années plus tôt.

Il semble que l’apogée de la richesse commerciale de Vohemar se place entre le XVème et le XVIIème siècle. D’après Beaujard « Vohemar connaît un épanouissement spectaculaire aux XVe-XVIème siècle, en liaison avec les réseaux d’échange de l’Océan Indien Occidental mais aussi de l’Asie du Sud et du Sud-est ». Quels étaient les échanges commerciaux qui se faisaient dans le port de Vohemar à cette époque ? Nous avons vu que Flacourt parle de la culture du riz qui pouvait être convoité par les navigateurs de l’époque ainsi d’ailleurs que les bœufs, nombreux dans la région et qui feront la fortune de la ville avec l’arrivée des français au XIXème siècle. Mais, en dehors des denrées utiles au ravitaillement des bateaux, la région de Vohemar proposait aux marins des produits plus précieux, comme l’écaille de tortue, l’ambre gris, le copal (résine fossile ressemblant à l’ambre et dont on faisait des bijoux) ou même l’or. Flacourt, en 1661 écrit : « Il y a à Anossi un orfèvre autrement dit Ompanefa Voulamena, nommé Rafare Voulamena, fils d’un nommé Radam, qui m’a dit que ses ancestres sont venus de Vohemaro et qu’en ce lieu il y a bien de l’or que l’on trouve au pays, c’est l’origine des orfèvres du païs d’Anossi, c’est celui qui a instruict tous les autres aux Matatanes ». Cette tradition de l’introduction de l’or à partir de Vohemar est confirmée par la présence de bijoux en or dans les tombes de la nécropole de Vohemar.

La décadence de Vohemar

Cette prospérité de Vohemar semble avoir duré jusqu’au XVIIème, époque où Vohemar aurait décliné. Vernier et Millot donnent à cette décadence deux explications : « la ville musulmane de Vohemar [...] qui fut florissante jusqu’au XVIème siècle a décliné ensuite du fait de la domination portugaise ; elle aurait été brusquement abandonnée au XVIIème à la suite d’un cyclone d’une force dévastatrice exceptionnelle, cyclone dont la mémoire populaire, ainsi que le trajet de certains cours d’eau de la région ont gardé le lointain souvenir ».
Au cours de son exploration du Nord de Madagascar, en 1775, Nicolas Mayeur remarquera la présence de vestiges vieux de 150 à 200 ans, que l’on peut donc dater de 1575 ou 1625.
Un long et riche passé donc pour la ville de Vohemar, passé qui nous est en partie connu par l’exploration des sépultures de Vohemar.

La recherche archéologique à Vohemar

Céramique chinoise retrouvée à Vohemar

Céramique chinoise retrouvée à Vohemar

Céramique chinoise retrouvée à Vohemar

Le site de Vohemar a attiré l’attention des archéologues depuis plus de cent ans. Les recherches ont essentiellement porté sur les sépultures de la nécropole de Vohemar qui contenait des centaines de tombes des anciens habitants de Vohemar, les Rasikajy. (Curieusement, si le site est riche en sépultures, les archéologues n’ont pu trouver aucune trace d’ habitations, celles-ci ayant peut-être disparu dans le terrible cyclone qui aurait emporté la langue de terre de Vohemar.)
Dans la revue Taloha, en 1971, l’historien Pierre Verin récapitule l’historique des fouilles qui ont été conduites sur le site : « Les premières fouilles connues semblent avoir été entreprises par Guillaume Grandidier en 1899. Elles furent fort peu fructueuses. Vers 1904, M.Maurein pratiqua des fouilles avec plus de succès ». En 1941 de nouvelles fouilles furent entreprises par MM. Gaudebout et Vernier qui durent interrompre leurs travaux en raison de la guerre. Ch. Poirier reprit les travaux en 1948, puis ce fut M. Millot qui étudia encore les quelques restes qui se trouvaient sur le site. Ces fouilles ont permis de se faire une idée assez nette des échanges qui se faisaient à Vohemar, et des relations commerciales entretenues par les habitants de la cité.
Les sépultures de Vohemar, que l’on peut situer dans une période comprise entre le XIIIème et le XVIIème siècle indiquent que la zone fut un véritable carrefour de cultures. En effet, les objets trouvés sont d’origine extrêmement diverses : très nombreuses céramiques chinoises bleues de l’époque Ming qui peuvent avoir été apportées par les Chinois, mais aussi, et plus vraisemblablement par les Arabes ; verres provenant de Perse, cuillères en nacre (qui peuvent renvoyer à l’Océanie), perles en verre, en cornaline, quelquefois en métal (cuivre, argent, or) provenant sans doute de l’Inde, vaisselle en céramique dorée fabriquée en Espagne.
Cependant les pratiques funéraires semblent apporter la preuve d’une civilisation originale, mêlant l’Islam à d’autres pratiques : « Si la position des corps renvoie à l’islam, la présence de tout ce matériel associé l’en écarte. D’autres points restent à analyser : la position de cuillères en nacre placées derrière les vertèbres cervicales, sous le menton ou en avant du thorax, le rôle des marmites sens dessus dessous au pied du corps, légèrement surélevées par rapport au corps, la fonction des diverses perles, le rôle du miroir (talismanique?) placé devant la bouche, autant de choses qui, vraisemblablement, constituent un tout dans la pratique funéraire des Rasikajy ».(in Réévaluation du site de Vohemar : ouverture à d’autres hypothèses - Etudes Océan Indien)
Les tombes de Vohemar n’ont sans doute pas encore livré tous leurs secrets. Mais ce que nous en savons permet d’affirmer l’importance du site archéologique de Vohemar témoin d’une brillante civilisation pluriculturelle.
(à suivre)

■ Suzanne Reutt


3ème partie : Nosy Lonjo, entre mystère et montagne

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17 novembre 2014

Route d'Anosiravo et vue du pain de sucre d'Antsiranana
Route d'Anosiravo et vue du pain de sucre d'Antsiranana

Il est des lieux qui font rêver... Nosy Lonjo, le Pain de sucre de la baie de Diego Suarez, est de ceux-là. A la fois proche et inaccessible, protégé par ses légendes et les interdits qui l'entourent, objet de culte et symbole de la ville d'Antsiranana, il est connu du monde entier mais peu de personnes ont eu le droit d'y accéder. Essayons de le découvrir à travers histoire et légendes, science et superstitions...

Un nom mystérieux

Les malgaches connaissent l’îlot sous le nom de « Nosy Lonjo ». Le terme de « lonjo » est déjà ambigu : s’il a une signification immédiate (lonjo signifie « cône ») en rapport avec sa forme, il peut également avoir une autre signification, plus patrimoniale : en effet, le « lonjo be » est, en malgache l’ancêtre fondateur d’une lignée familiale.
Pour les français, la dénomination n’est pas plus claire : qui se souvient encore de ce à quoi ressemble un « pain de sucre » à l’époque où nous ne connaissons cette denrée qu’en poudre ou en morceaux? Mais l’expression avait encore un sens en 1833 pour Bigeault, qui sur la corvette La Nièvre, donna ce nom à l’ilot lors de la reconnaissance de la baie et qui devait ne connaître le sucre que sous la forme d’un gros cône, comme on le présentait alors.

Nosy Lonjo, symbole de la ville d'Antsiranana
Nosy Lonjo, symbole de la ville d'Antsiranana

Ce sont les français, également, qui appelèrent la baie où s’élève l’îlot : « baie des français » alors que l’Anglais Owen l’avait nommée « Scottish Bay », baie des écossais. Chacun traduisant à sa façon ce que les malgaches nommaient « Andovobazaha » « baie des étrangers ». Qui étaient ces « étrangers »? Les lointains arabes faisant du commerce sur les côtes ? les mythiques pirates de Libertalia ? Les « traitants » comme Guinet qui, au début du XIXème siècle reconnaissaient la région pour le compte de la Compagnie de Madagascar ?
Il ne faut pas faire preuve d’une trop grande imagination pour penser que cette baie au fond de la rade, où débouche une rivière (la Betahitra) et où s’ouvre une vallée fertile, abritée des vents violents par la montagne des Français, ait pu servir de havre à tous les marins chahutés par les tempêtes qu’ils avaient traversées... D’ailleurs, les fouilles de la Montagne des Français ont permis de découvrir des preuves du passage des marins depuis la plus lointaine époque... Pour tous ceux-là, Nosy Lonjo devait être l’emblème du salut.

Une origine géologique contestée

Presque toutes les citations de l’îlot de la baie des français s’accompagnent de la mention « d’origine volcanique ». Or, cette origine, en rapport avec le volcanisme de la montagne d’Ambre, évoquée par le géologue Besairie en 1952, est aujourd’hui généralement contestée. Beaucoup d’hypothèses ont été avancées par les géologues sur la façon dont le Pain de Sucre a trouvé sa place mais, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé (c’est à dire que les mouvements tectoniques avaient provoqué l’invasion par la mer des parties basses des vallées), il semblerait que le Pain de sucre, soit un bloc détaché de la Montagne des Français ayant glissé sur les versants marneux de la montagne. Cette hypothèse, défendue par plusieurs géologues dont Karche et Rossi est confortée par la présence, sous le Pain de Sucre, de marnes semblables à celles de la Montagne des Français.

Les données scientifiques

Certaines données sont cependant plus faciles à vérifier. La hauteur du Pain de sucre (122m), sa superficie : 4 hectares et demi ; la nature du terrain (essentiellement argilo-calcaire). Quant à la végétation du Pain de Sucre, elle est sans doute assez semblable à celle de la côte environnante : on y voit les notamment les fameux baobabs typiques de la région adansonia suarezensis.
Cependant, Nosy Lonjo, protégé par ses « fady » (interdits) et protégé par la loi, a peut être conservé des espèces décimées ailleurs. En effet, dès 1950, le Journal Officiel de Madagascar publie l’arrêté suivant : « Par arrêté du Haut Commissaire de la République Française à Madagascar et Dépendances, en date du 3 juin 1950, a été affecté au service des eaux, forêts et chasses (conservation des réserves naturelles) l’ilot du pain de sucre, d’une superficie de 4hectares, 50 ares environ, sis au fond de la baie des Français (rade de Diego Suarez, district de Diego Suarez, province de Majunga,) tel qu’il est figuré au plan annexé à l’arrêté susvisé ».
S’il est difficile de savoir quelles sont exactement les espèces animales que l’on y trouve, beaucoup d’Antsiranais ont pu voir les grappes de chauves-souris roussettes (fanihy) accrochées aux arbres de son sommet qu’elles quittent le soir pour aller piller les vergers de mangues.
La protection de Nosy Lonjo a d’ailleurs été renforcée par un arrêté du Conseil Municipal, en date de décembre 1999, classant le Pain de Sucre « patrimoine culturel et écologique, témoin de l’âme malgache ».

Nosy Lonjo, « témoin de l’âme malgache »

Dans un article sur les « vazimba », les ancêtres mystérieux des malgaches, l’historien J.P Domenichini affirme que « souvent les lonjo furent (des) lieux de sépulture marine. On en trouve un entre l’île de Nosy Komba et la côte. La baie d’Antsiranana en était un autre avec son pain de sucre en son milieu que l’on appelle Nosy Lonjo, dont beaucoup ne savent plus la signification ». Le caractère sacré de Nosy Lonjo serait dû au fait qu’il est un lieu de sépulture pour les ancêtres des Anjoaty. J’ai déjà parlé dans plusieurs articles de ces anjoaty, quelquefois appelés « Onjatsy », descendants d’islamisés venus des côtes de l’Afrique. Voici ce qu’en dit Grandidier dans son Ethnographie de Madagascar : « D’après l’enquête que nous avons faite sur l’origine et les mœurs des Onjatsy du Nord, M.Guinet et moi, le nom d’Antsiramasina (une baie du cap d’Ambre)a été donné à cette baie précisément en souvenir de l’atterrissement en ce lieu d’Onjatsy, qui, aux yeux des indigènes, sont des " masina ", c’est à dire des saints, d’habiles magiciens [...] Ils ont de l’influence sur les autres malgaches, qui les croient doués de pouvoirs surnaturels, "hasim-bava" (litt : ayant la bouche sainte) suivant leur expression,

Lieu de cérémonie sacrée des Anjoaty dans lequel les offrandes sont déposées par un officiant invoquant Dieu, les
Lieu de cérémonie sacrée des Anjoaty dans lequel les offrandes sont déposées par un officiant invoquant Dieu, les "razana" de nosy Lonjo

c’est à dire capables de prédire l’avenir, ayant le don d’exorciser et pouvant à leur volonté appeler sur les hommes les bénédictions ou les malédictions divines ». D’après Evelyne Rakotoarimanitra, dans sa Note sur Nosy Lonjo présentée au Colloque International d’Histoire Malgache à Antsiranana en 1987, voici comment se déroulent les cérémonies où les « fidèles » viennent demander des faveurs et spécialement pour la purification des personnes habitées par des « tromba » (phénomènes de possession). « Les fidèles se présentent un vendredi, un lundi ou un samedi [...] ils apportent une poignée de riz, un petit flacon de miel, quelques pièces de monnaie à chiffre pair et du rhum. La cérémonie se déroule généralement non pas sur l’îlot lui-même mais sur la côte proche au sud-ouest, au pied de la Montagne des Français, en se tournant vers Nosy Lonjo (qui est ainsi au nord-est des fidèles. L’assistance est déchaussée, vêtue de pagne, tête nue. On s’assoit d’abord devant une pierre sacrée, bloc de roche poreuse pourvue d’orifices dans lesquels les offrandes sont déposées par un officiant invoquant Dieu, les "razana" de Nosy Lonjo et les lieux sacrés des Anjoaty : Bobaomby, Ankarakotova et Nosy Lonjo. Un peu plus bas sur la rive on recommence la même cérémonie, cette fois-ci debout, devant un arbre sacré, mosotry, du genre Avicennia (mangrove) sur les branches duquel sont disposées les offrandes, en même temps qu’on répète la prière. Enfin, chacun avance dans la mer et avec les deux mains prend de l’eau qu’on se verse sur la tête ; pour se retirer de l’eau, on fait marche arrière sans se retourner jusqu’à la terre ferme. Les mêmes rites peuvent aussi se dérouler sur l’îlot lui-même ensuite mais avec la présence nécessaire d’un guide officiant. On les accomplit alors sur la plage devant le squelettes des ancêtres et plus haut devant une grotte censée contenir des squelettes d’ancêtres ».
L’histoire de Nosy Lonjo est également lié à l’histoire récente (relativement) du Nord et notamment au conflit entre les troupes merina et les Antankarana. C’est ainsi que l’on raconte que, assiégés par les troupes merina sur la Montagne des Français, les Antankarana demandèrent à Dieu de les sauver. Dieu les entendit et détacha le mont Lonjo de la côte... et celui-ci devint une île.
Légende intéressante qui rejoint les explications des géologues (Nosy Lonjo arraché à la Montagne des Français)en associant des mythes anciens (le caractère sacré de l’ilot) à des évènements historiques assez récents (les guerres des Antankarana contre les Merina au XIXème siècle)...
Beaucoup d’autres récits se sont tissés autour de Nosy Lonjo, racontant notamment les châtiments des incrédules ou des sacrilèges qui n’avaient pas respecté le caractère inviolable de l’îlot. Les cérémonies à Nosy Lonjo se font peut-être moins fréquentes mais l’ilot et les rives qui l’entourent gardent leur caractère sacré pour les Antankarana (Les terrains après l’hôpital psychiatrique ont pour nom « marofady » : (beaucoup de tabous), terrains qui sont restés longtemps inoccupés... Et, pour les autres, également, Nosy Lonjo garde son mystère, son aura. Une aura qui se matérialise le soirs de pleine lune quand celle ci se pose à son sommet comme un diadème, et que l’îlot, sur la mer argentée, rayonne d’une majesté sacrée.

■ Suzanne Reutt


La vie spirituelle à Diego Suarez...il ya cent ans 2ème partie  : L’implantation de l’Islam à Diego Suarez

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1 novembre 2014

La mosquée de Tanambao

La mosquée de Tanambao

On serait tenté de dire que l’islam a été présent à Diego Suarez avant même que Diego Suarez existe. En effet, il existe à Madagascar une longue tradition de navigation musulmane dans l’Océan Indien et les fouilles de la Montagne des français attestent de la présence, sans doute épisodique, de marins venus de l’Arabie, des côtes de l’Afrique (et notamment de Zanzibar), ou de celles de l’Inde.

Et plus précisément, des comptoirs musulmans établis sur les côtes africaines (Malindi, Mombasa,..) Les fouilles de la Montagne des français ont permis de découvrir des céramiques de facture islamique datées du VIIème siècle mais dont certains pensent qu’elles seraient plus anciennes. On a également trouvé des tessons de verre venant du Proche - Orient. Tous ces indices attestent l’existence d’un commerce maritime ancien avec des navigateurs très vraisemblablement islamisés, sans qu’il soit possible d’en tirer une conclusion sur l’influence de l’Islam sur les éventuelles populations locales de l’époque.

Plus tard, le grand navigateur arabe Ibn Magid, qui rédige vers 1462 sa Hawiya riche de données nautiques, donne des renseignements sur le Cap d’Ambre (Ras al-milh : le cap du sel) qu’il situe « sur la Grande Ourse à onze doigts de hauteur» et que les pilotes « connaissent aussi bien Arabes que Persans ». Ibn Magid indique également un « Port-Bani Isma’il » (Port des fils d’isma’il) c’est à dire Port des Arabes qui indique évidemment une installation d’islamisés. Ce « port » est sans doute le « port des Antalotches » signalé en 1823 par Leguevel de Lacombe à l’entrée sud de la baie, près de l’actuel village de Ramena. Enfin, dès 1885, la création et le développement du Territoire de Diego Suarez ont entraîné un énorme besoin de main d’œuvre qui a amené dans le Nord un afflux de migrants dont beaucoup étaient islamisés

Les Antalaotra et Anjoaty

Nous venons de voir que Leguevel de Lacombe, parlait, au début du XIXème siècle du port des Antalotches du côté de Ramena.
Qui étaient ces «Antalotches» ou «Antalaotra»?
Appelés parfois Arabes, Silamo, Antalaotse ou Talaotra, ce sont avant tout ceux qui pratiquent l’Islam. D’où venaient-ils ? Sans doute de la côte d’Afrique. Hubert Deschamp les décrit comme « un mélange d’Arabes, de Malgaches et d’Africains parlant un dialecte souahili parsemé de mots malgaches, et ayant adopté la religion, les vêtements et les usages arabes ». Gabriel Rantoandro nuance : « les Souahilis descendants de Shiraziens avaient sans doute fourni le plus gros contingent; en nombre moins important sont venus des Arabes déjà fixés le long des côtes d’Afrique; la communauté de religion a tout naturellement facilité le rapprochement entre ces deux éléments ». D’origines diverses, abondamment métissés, les Antalaotra se distinguent donc par leur religion. Les Antalaotra « gens de la mer » sont, pour la plupart des commerçants islamisés, venus souvent de Zanzibar ou de Mayotte et parlant un dialecte swahili. Faisant du commerce dans le Nord de Madagascar, ils fournissent les populations en biens de toutes sortes : armes, produits manufacturés, et parfois... esclaves.
Dans le Nord-Est de Madagascar, les Anjoaty, considérés comme les descendants des Antalaotra seraient, d’après l’historien Pierre Verin, « une dizaine de milliers entre le Cap d’Ambre et la région d’Ampanobe ». Ils jouissent dans la population malgache d’un prestige particulier en raison des talents occultes qu’on leur prête. C’est ainsi que Nosy Lonjo, le Pain de Sucre, considéré comme un lieu de sépulture des ancêtres des Anjoaty est l’objet de cultes particuliers. Une des traditions de Nosy Lonjo veut qu’une Anjoaty venue de la mer se maria avec un jeune homme issu de la terre et qu’ils s’établirent avec leur bétail dans le Babaomby. D’autres traditions, comme le mythe de Darafify, semblent confirmer l’origine ultra-marine des Anjoaty : « Darafify était un Anjoaty (originaire ou dont les parents sont originaires de l’Arabie)fameux par ses dons de prophétie. Il avait quatre frères et une soeur et dont il était l’aîné. Darafify demeura au Bobaomby avec sa soeur Imboty qui ne voulut jamais se marier.Son premier frère demeura à Amboanio, le deuxième à Manambato et le troisième à Bemarivo ou Vohemar. Au bout de quelque temps les trois frères se rendirent au Bobaomby pour revendiquer leur part de troupeaux qui venaient de leurs parents. Darafify s’opposa au partage en disant : Notre sœur n’est pas mariée; il faut lui laisser le troupeau entier pour qu’elle puisse vivre. Les trois frères refusèrent d’accepter cette proposition si juste et si raisonnable. Ne voulant pas assister à ce partage qu’il jugeait inique, il partit vers le sud, emmenant avec lui une vache rouge aux huit pis. Cette vache avait été amenée d’Arabie et était la source de tout le troupeau de Bobaomby. Un mois plus tard, Imboty, son troupeau et ses frères furent engloutis par la mer...» (D’après Dandouau)

Les Antankarana

L’adhésion des Antankarana à l’Islam est plus récente et découle en grande partie des conflits entre ces derniers et les Merina. En effet, dès le début du XIXème siècle les affrontements entre les troupes du roi Radama Ier et les Antankarana se multiplièrent. Le roi Antankarana, Tsialana Ier s’étant soumis au Roi Radama, les Hovas installèrent une série de forts dans le Nord de Madagascar, notamment, en 1828, à Ambohimarina, dans la Montagne des Français. A la mort de Tsialana, en 1822, son fils Tsimiaro lui succéda et reprit les armes contre les troupes de Radama. Vaincu, il se réfugia dans les grottes de l’Ankarana en 1838 mais un traître ayant montré l’accès des grottes aux troupes merina, il dut aller se réfugier à Nosy Mitsio. La légende veut qu’il ait fait, à ce moment-là, le vœu de se convertir à l’Islam si Dieu lui venait en aide. Il semble cependant que les raisons de cette conversion soient aussi politiques : en effet, désireux de prendre sa revanche contre les Hovas, Tsimiaro demanda de l’aide au Sultan de Zanzibar, qui envoya un navire de guerre. La conversion à l’Islam fut peut-être le prix à payer pour cette aide militaire, qui fut sans lendemain, cette défection obligeant Tsimiaro à se tourner d’abord vers les anglais, puis vers les français. Quoi qu’il en soit, la conversion d’une partie des Antankarana à l’Islam, facilitée sans doute par la promiscuité des Antalaotra, date du milieu du XIXème siècle. Cependant, l’Islam pratiqué par les membres de la royauté antankarana garde la trace des rituels ancestraux : tsangan tsainy (érection du mât) rites de possession (tromba), funérailles royales etc.

Les Indo-Pakistanais

Il semble que les premières implantations d’immigrants indo-pakistanais aient eu lieu à Nosy-Be dans la ville d’Ambanoro, au début du XIXème siècle. Ce mouvement s’est accéléré avec la colonisation et notamment avec le développement de la ville d’Antsirane, nouveau pôle de développement économique. D’ailleurs, aux tout débuts de la présence française à Diego Suarez-Suarez, la petite ville basse d’Antsirane en train de naître a pour seul commerçant un indien, Charifou Jeewa. Cette présence indienne va aller croissant au fil des années :
- 1899 : 14
- 1902 : 21
- 1905 : 49
- 1913 : 163
- 1926 : 156.
Ces indo-pakistanais ont pour points communs leur origine géographique (la province de Bombay, et plus particulièrement le Goudjerate). Cependant, ils se différencient par leur religion : hindouisme et Islam. Si les musulmans sont majoritaires, ils se séparent par leur appartenance aux deux branches majeures de l’Islam, le chiisme et le sunnisme. Parmi les chiites on distingue les Bohra qui sont les plus nombreux et les Khodja.
Les Bohra sont des chiites de la secte des Ismaïliens, de la branche des Daoudis. Ce sont les plus anciennement installés dans le Nord.
Les Khodja installés à Madagascar « sont des Duodecimains, c’est à dire qu’ils admettent la légitimité de douze imams descendants d’Ali. Le dernier Imam, l’Imam caché » doit revenir un jour sur terre ». (Raymond Delval). Les Bohra et les Khodja ont construit des mosquées comportant de grandes salles de prière et de réunion. La première mosquée Bohra, à Nosy Be date de 1870 ; à Antsiranana, en 1987, on comptait deux mosquées Bohra et une mosquée Khodja. Les sounis (nom générique porté par les Indiens sunnites) sont installés à Madagascar depuis longtemps (la mosquée de Majunga date de 1870). Ils représentent environ 15% des indiens de Madagascar. A Diego Suarez, la première mosquée sunnite date de 1921, elle est fréquentée par les Comoriens et les Indiens.

Les Comoriens

« Comoriens en grande tenue» (1900)

« Comoriens en grande tenue» (1900)

Les relations entre le Nord de Madagascar et les Comores, plus anciennement islamisés, sont vraisemblablement très anciennes. Elle n’étaient pas toujours amicales. Les expéditions menées, au XVIIème siècle, par les Sakalaves sur les Comores pour aller y chercher des esclaves comportaient des habitants du Nord. Guinet nous raconte que les contingents qui appareillaient étaient recrutés « depuis Tamatave jusqu’au Cap d’Ambre ». « Lorsque la saison du retour était arrivée, les Madécasses (Malgaches) cessaient leurs courses et se rembarquaient dans leurs pirogues, avec le butin et les prisonniers. De ceux-ci, ils faisaient ordinairement des esclaves ; car ils ne tuaient les habitants que lorsqu’ils ne pouvaient faire autrement ». (Froberville-1845)
Lorsque la France s’installe à Diego Suarez, en 1885, et interdit l’esclavage dans le nouveau Territoire, le Gouverneur Froger attire les esclaves des chefs malgaches dans ce territoire qui manque de bras et où ils trouveront la liberté. Il s’agit sans doute des premières arrivées de Comoriens dans le Territoire de Diego Suarez. Ces arrivées se feront beaucoup plus nombreuses avec la colonisation de tout le pays, d’autant plus qu’entre 1908 et 1946 les Comores sont administrativement rattachées à Madagascar. Les besoins de main d’œuvre favorisent l’installation de nombreux comoriens à Diego Suarez où ils occupent souvent de petits emplois (employés de maison, marchands ambulants) mais aussi des emplois de fonctionnaire, notamment dans la police. Les migrants comoriens ont apporté dans le nord l’Islam shâfi’ite à travers trois confréries : toarika shadhili-toarika rifa’i - toarika qadiri, telles qu’elles existent dans les Iles des Comores. D’obédience sunnite les mosquées comoriennes accueillent les indiens sounis.

Les Yemenites

Arrivés dans l’ensemble vers les années 1920, au moment des travaux d’extension du port, ils furent employés au batelage, généralement comme dockers. Logés dans un camp installé à l’emplacement actuel de l’Hôtel Allamanda, ils disposaient d’une mosquée spécifique qui fut détruite au moment de la construction de l’hôtel, les éléments sacrés étant transférés.

La mosquée Yéménite
La mosquée Yéménite
Les mosquées

Le grand nombre de mosquées à Diego Suarez et leur ancienneté témoignent de la présence ancienne de l’Islam. Parmi les plus anciennes mosquées, la première, installée dans la ville basse en 1887, fut détruite en 1950 et reconstruite immédiatement rue Justin Bezara ; la mosquée Anafi Jacob, construite en 1905 fut reconstruite en 1961 ; la mosquée Bambao fut construite de 1910 à 1912 ; la mosquée Dromoni, construite en 1918-1920 fut reconstruite en 1947 ; la mosquée Chadouli (1933-34) fut reconstruite en 1965 (renseignements fournis par la Monographie Diana ). Actuellement, Diego Suarez compte 19 mosquées, ce qui traduit le dynamisme de l’Islam dans la région, un Islam modéré dans lequel coexistent les différents courants de la religion.

■Suzanne Reutt


La vie spirituelle à Diego Suarez ...il ya cent ans -1ere partie : Les débuts du catholicisme

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15 octobre 2014

Sortie de la messe le dimanche il y a cent ans à Antsiranana
Sortie de la messe le dimanche il y a cent ans à Antsiranana

Lorsque les français occupent la baie de Diego Suarez, à la suite du Traité franco-malgache de 1885, le petit village d’Antsirane ne possède aucune église. Le premier prêtre à exercer son ministère sera l’aumônier du navire La Dordogne sur lequel se trouvent les premières troupes d’occupation. Mais, malade il sera rapidement remplacé par le Père Berthieu que les catholiques de Diego connaissent bien puisqu’il a été canonisé il y a peu (le 21 octobre 2012) par le Pape Benoît XVI, devenant ainsi le premier saint de Madagascar.

Le Père Berthieu débarque à Antsirane le 7 mai 1886. Dans la petite ville en train de se construire de bric et de broc, il va d’abord loger dans un magasin où il célèbrera sa première messe le 15 mai 1886. Il quittera la ville dès le 2 juin pour être remplacé par l’ancien aumônier des troupes d’Amboanio (près de Vohemar), le Père Cros. Avant son départ, le Père Berthieu avait eu le temps de trouver un emplacement, sur les pentes du Plateau, pour y construire une petite chapelle en bois. Affecté à Ambositra puis à Tananarive, le Père Berthieu trouvera le martyre et la mort lors de l’insurrection des Menalamba en 1896. Son remplaçant, le Père Cros, ne restera que trois mois à Antsirane, bientôt remplacé par l’aumônier de l’hôpital militaire de Cap Diego, M.Pannetier.

Les rapports de l’Eglise et de l’Etat

A l’époque, la nomination des prêtres dépend dans le Territoire de Diego Suarez du Sous-secrétaire d’Etat aux colonies qui décide des affectations sur proposition du supérieur des Pères du Saint-Esprit. En juin 1887, c’est l’abbé Paul Méar, jeune prêtre breton de 26 ans, qui est proposé pour servir à Diego Suarez. Dès son arrivée, en septembre 1887, le jeune abbé s’inquiète de sa charge de travail. En effet, la population de la petite ville d’Antsirane s’est accrue et il s’en plaint dans une lettre: « Entre malgaches, colons et militaires, on compte au moins 3000 âmes. Jugez si un seul prêtre peut assurer le service religieux pour tout ce monde...» Dans les premiers temps le Père Méar partage sa tâche avec l’abbé Pannetier qui exerce son ministère à Cap Diego, mais lors du départ de ce dernier, le Père Méar, découragé va donner sa démission : « un pauvre petit vicaire breton est bien vite à bout de forces. Il n’a personne pour lui venir en aide ».

Les premières églises

L’abbé Méar a une charge d’autant plus lourde que le Gouverneur Froger, en poste depuis le 8 mars 1887, s’inquiète des mœurs dissolues de la ville d’Antsirane et compte sur le clergé catholique pour inculquer des leçons de morale à tous ces nouveaux habitants qui « ont pris la triste habitude de ne compter pour vivre que sur le gain de leurs femmes et leurs filles » (lettre du 26 avril 1887). Froger encourage donc l’Abbé Méar à construire une église, en organisant une loterie pour réunir des fonds. C’est un travail de plus pour l’abbé Méar : « l’église est en construction, il faut que je surveille les travaux ». Méar souhaitait également construire une chapelle à Anamakia pour ne pas laisser le champ libre aux Anglicans qui « y ont déjà un temple et une école ». En fait, l’église d’Antsirane, située à l’emplacement de l’ancienne poste, au coin de la rue Joffre, commencera à abriter les offices avant même d’être terminée. La démission inattendue du Père Méar va entraîner la nomination du chanoine Murat le 26 août 1890.

L’œuvre du chanoine Murat

J.H Murat a 50 ans lorsqu’il est affecté à Diego Suarez. Fils de parents installés à La Réunion depuis le début du XIXème siècle, il a été curé de Saint-Benoît, puis de Saint-Pierre, enfin de Saint-Denis en 1882. Après des dissensions avec l’évêque de La Réunion, il est renvoyé en France. Ayant postulé au poste de l’Abbé Méar, et appuyé par le député de La Réunion François de Mahy, il débarque le 3 novembre 1890 à Antsirane, en tant qu’aumônier de l’hôpital militaire installé alors à Cap Diego. Froger, ami de François de Mahy, lui proposera de rester à Antsirane, le Père Jany, qui occupait la charge depuis le départ de Méar, allant à Cap Diego. Dès sa nomination, Murat va s’appuyer sur les Pères du Saint-Esprit, déjà chargés de Nosy Be et de Mayotte. Il se fait également aider par les Filles de Marie, appartenant à une congrégation réunionnaise, qui tiennent un orphelinat et une école pour les jeunes filles créoles. Dès son arrivée, l’abbé Murat témoignera d’une belle énergie : il va visiter tout le territoire dont il a la charge morale : Antongombato, la Montagne d’Ambre où s’installent de nombreuses familles créoles. Il s’occupe d’installer les sœurs de Marie, à qui le Gouverneur vient d’octroyer un terrain sur le plateau, près de l’emplacement de l’actuelle cathédrale (leur maison sera inaugurée le 23 avril 1894); il s’occupe des malades, des offices et de toutes les charges de son ministère, et ceci dans un territoire dont la population ne cesse de s’accroître (dans une lettre d’avril 1891, Murat parle de 8000 personnes). Sa tâche est rendue d’autant plus difficile par le fait que le Père Murat ne parle pas malgache. En fait, Murat, réunionnais de cœur, s’occupe principalement des créoles qui constituent l’essentiel de la communauté catholique du Nord. Une religieuse dit de lui : «Je crois que ce qui l’a attiré surtout ici, c’est une quantité de braves gens de l’île Bourbon dont la plupart sont ses anciens paroissiens ». Conscient de ses difficultés et soucieux de l’influence des protestants et de la progression de l’Islam chez les chefs malgaches, le Gouverneur Froger va réclamer au ministère des « renforts » pour l’abbé Murat : « Les neuf derniers paquebots, dans un intervalle de quatre mois et demi nous ont amené 1224 personnes dont un millier au moins sont nés dans la religion catholique en France, à La Réunion, à Sainte-Marie. Notre unique prêtre, malgré des efforts aussi imprudents que méritoires ne peut suffire aux devoirs de son ministère ». En fait, il s’agit surtout, dans l’esprit de Froger de renforcer l’influence française dans la petite colonie de Diego Suarez.

Le renforcement de la présence catholique à Diego Suarez

La nomination d’un nouveau prêtre, l’abbé Folignet, va permettre à l’abbé Murat de s’absenter pour faire des démarches, à Paris et à Rome, dans le but d’organiser la région Nord du point de vue ecclésiastique. En effet, Diego Suarez, colonie française dépend du vicariat de Madagascar...qui n’est pas encore colonie française, ce qui ne va pas sans créer de nombreux problèmes d’ordre administratif. L’évêque Cazet écrit au gouverneur Froger : « Le temps me semble venu de donner une organisation normale au service religieux de cette florissante colonie [...] J’espère que vous voudrez bien aider l’abbé Murat dans les démarches qu’il doit faire dans le but de faire séparer la colonie de Diego Suarez de la juridiction du vicariat apostolique de Madagascar ». L’abbé Murat, qui n’a pas beaucoup de succès dans ses démarches obtient cependant l’arrivée d’un troisième prêtre ainsi que celle des catéchistes missionnaires de Marie Immaculée (novembre 1894). Habillées de gris, on les nomme les « sœurs grises » pour les distinguer des « Filles de Marie » portant une robe noire. Assurant essentiellement le catéchisme, elles ouvrent une école à Anamakia.

Les changements après 1895

Le nouveau statut de Madagascar – devenu colonie française – va amener des transformations à Diego Suarez qui se fond dans la nouvelle colonie et dans l’organisation ecclésiastique du Nord. Une nouvelle église remplace la petite construction en bois des débuts, détruite par le cyclone du 5 février 1894. Alors que l’abbé Murat rêvait d’une belle église gothique dont il avait apporté les plans, il devra se contenter d’un bâtiment en bois d’une vingtaine de mètres de long, situé près de l’actuelle cathédrale. Les Filles de Marie, elles, vont s’occuper de l’hôpital civil d’Antsirane et reprendre l’école d’Anamakia. Il est question de donner aux Pères Spiritains le vicariat apostolique du Nord, mais les choses traînent en longueur. Pour l’abbé Murat, les choses ne s’arrangent pas : son traitement et celui de ses confrères est supprimé en 1897, ses deux collaborateurs tombent malades et sont rapatriés, lui-même, épuisé doit être hospitalisé. Il partira pour la France le 21 février 1898. Les sœurs « grises », malades l’auront devancé : elles se sont embarquées le 14 février pour La Réunion. Le 2 octobre 1898, Mgr Corbet était ordonné évêque. Il allait devenir le premier vicaire apostolique de Diego Suarez. Débarqué le 9 janvier 1899 à Antsirane, il fonda de nombreuses missions et décida, en 1909 la construction de la nouvelle cathédrale qui fut achevée en 1912. Dès la cathédrale achevée, Mgr Corbet avait demandé à y être inhumé après sa mort, ce qui lui fut refusé. Il fallut attendre 1925 pour que l’autorisation soit accordée.

Cet article s’appuie largement sur le texte de Bruno Hubsch : Les débuts de la communauté catholique à Antsiranana

■ Suzanne Reutt


Les Tirailleurs de Diego Suarez Suarez(4) : Les tirailleurs au combat

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Jeudi, 17 Juillet 2014 08:30

Tirailleurs malgaches dans une tranchée-abri en 1915
Tirailleurs malgaches dans une tranchée-abri en 1915

Le 3 août 1914, l'Allemagne déclarait la guerre à la France et à la Serbie. Mais, dès le 1er août, la France avait déclaré la mobilisation générale. Quelles répercussions ces nouvelles eurent-elles à Madagascar, et principalement sur les militaires malgaches? Allaient-ils devoir partir en Europe?

Les premiers départs de tirailleurs malgaches

Les premiers départs de Diego Suarez, en 1915 concernèrent les réunionnais ainsi que, comme nous l’avons vu, les tirailleurs déjà en service. Ils furent suivis, au fur et à mesure de leur formation, par les envois de recrutés. Le Journal Officiel de Madagascar du 10 juin 1916 évoque le départ du 1er bataillon pour la Tunisie : « Le général commandant supérieur des troupes est heureux de porter à la connaissance des corps de troupe indigènes et des services du groupe les excellents renseignements qu’il a reçus au sujet du 1er bataillon malgache embarqué pour une destination extérieure à la Colonie (bataillon Galland, en garnison en Tunisie). Ce bataillon a quitté Madagascar en deux échelons: 1° Trois compagnies avec le chef de corps ont été embarquées à Diego-Suarez, le 22 octobre 1915, sur l’Océanien et le Ville d’Alger; 2° La 4ème compagnie du dit bataillon, avec des hommes de renfort, a quitté Diego, le 22 décembre 1915 sur le Caucase. Les mouvements accomplis par ces deux groupes jusqu’à l’arrivée à destination (Gabès) ont donné lieu aux remarques suivantes : Le premier groupe, débarqué à Bizerte, le 13 novembre 1915, après une excellente traversée, a rejoint Tunis. [...] Le second groupe a été soumis en mer aux fatigues d’un voyage pénible, soit en raison d’une température très froide, soit par suite des fatigues d’une mer très agitée, particulièrement en Méditerranée. Cependant les tirailleurs n’ont pas cessé de faire preuve d’un excellent moral; leur état de santé a été satisfaisant. La discipline, la tenue et l’entrainement des tirailleurs malgaches en Tunisie, n’ont fait que confirmer ce que pouvait laisser présager un semblable début ». Le commandant Galland dit de son côté : « C’est un bataillon de soldats vigoureux, disciplinés, très bons tireurs, instruits dans toutes les spécialités (grenadiers, signaleurs, agents de liaison) résolus au sacrifice et commandés par des officiers qu’ils suivront aveuglément partout ». Ces départs furent suivis de beaucoup d’autres et les tirailleurs malgaches furent effectivement partout et notamment dans les combats du nord de la France.

Les tirailleurs de Diego Suarez dans la guerre

Nous l’avons vu, les recrutements de volontaires furent plus importants sur les plateaux que sur les côtes. Mais le nord fournit cependant son contingent de volontaires, comme on peut le voir dans cette lettre, citée par Garbit et signée d’un nom bien connu des Antankarana puisqu’il s’agit du fils du roi Tsialana, le sergent Abdouramany:
« Fidèle à la tradition de mon grand-père qui, sans aucun combat, en 1841, a cédé à Sa Majesté Louis-Philippe, roi des français, les îles de Nossi-Be, Nossi-Mitsio, Nossi-Comba, et toutes les îles environnant Madagascar qui lui appartenaient, je remplirai jusqu’au bout mon devoir, au nom de mon père, Tsialana qui, empêché par l’âge mûr, n’a pu, avec tout son vif regret, venir lui-même prendre les armes pour la défense de la France, sa mère patrie, qui lui est toujours chère » Abdouramany, Sergent à la 82ème Compagnie.
Cependant, il est difficile, dans le grand brassage des hommes et de la guerre de retrouver la trace des tirailleurs originaires de Diego Suarez. Fondus dans différents bataillons (et même dans les bataillons sénégalais ou marocains), ils ont combattu essentiellement dans l’infanterie (infanterie coloniale, régiment de tirailleurs malgaches, bataillon mixte, bataillon d’infanterie coloniale de Diego-Suarez, bataillon de tirailleurs sénégalais, bataillon somalis...) et dans l’artillerie. Beaucoup des recrutés furent affectés à des travaux relevant du génie militaire (routes, tranchées ou approvisionnement en munitions etc.) ou de la santé (infirmiers, brancardiers...) mais un grand nombre furent envoyés au front où ils se conduisirent avec bravoure. Le plus célèbre bataillon de tirailleurs malgaches fut le 12ème bataillon de marche qui combattit héroïquement au Chemin des Dames en mai 1917. En 1918, lors de la deuxième bataille de la Marne, 500 de ses hommes moururent au combat.
En 1918, le Gouverneur Général Augagneur rendit hommage au courage des militaires malgaches : « Il insiste sur l’effort militaire des Malgaches dont 45 000 sont des engagés volontaires. Sur ce nombre, 15 000 servent brillamment dans l’artillerie avec les Européens ; il signale la glorieuse conduite du 12ème tirailleurs malgaches qui fut deux fois cité à l’ordre de l’Armée et qui, dans la dernière offensive, captura plus de 500 prisonniers et prit 7 canons » (J.O de Madagascar 25 août 1918).
Et dans sa conférence de 1919, le Gouverneur Garbit lit longuement le chapelet des citations qui furent décernées aux tirailleurs dont il vante inlassablement l’héroïsme. Je n’en citerai que deux ici : « Razafimpahitra - Tirailleur de 1ère classe. Blessé par grenade au cours d’une attaque ennemie dans la nuit du 20 au 21 septembre 1917, est resté à son poste, continuant le feu, et ne s’est fait panser que lorsque l’ennemi a été repoussé. Gustave - Tirailleur de 2ème classe. S’est vaillamment porté en avant, malgré un violent bombardement, pour aller chercher et ramener un européen blessé, tombé entre les lignes ».
Et Garbit vante aussi la générosité des malgaches même envers l’ennemi : « J’ai vu sur le champ de bataille, après l’action, des Malgaches donner leur café à boire à des blessés boches ou les couvrant d’une couverture abandonnée ». En France, les tirailleurs malgaches ont combattu en Alsace, en Lorraine, dans l’Aisne, dans les Ardennes, dans la Marne, la Meuse, la Meurthe et Moselle, le Nord, l’Oise, le Pas de Calais, la Somme, les Vosges... Mais aussi en Albanie, en Allemagne, en Grèce, en Italie, en Serbie, en Tunisie, en Turquie...
Sur les champs de bataille de la Grande Guerre les tirailleurs malgaches ont combattu au coude à coude avec les soldats français... dont certains venaient, comme eux de Madagascar. C’est le cas d’une famille dont tous les Antsiranais connaissent le nom puisqu’une rue de la ville porte leur nom, la rue Imhaus.

Le commandant Imhaus et ses fils

Théodore Imhaus, né à La Réunion et époux de la fille du député François de Mahy est affecté à Madagascar comme chef de bataillon au 13ème régiment d’Infanterie coloniale, puis par décision du 30 avril 1904, il passe au 3ème régiment de tirailleurs malgaches. Mis en congé à sa demande, il va créer, avec MM. Dubois et Pivert les briqueteries d’Ankorika, qu’il exploitera ensuite avec ses fils et il deviendra un des notables de Diego Suarez. C’est pendant la Grande Guerre que la destinée de cette famille va prendre l’allure d’une tragédie antique. Si certains lecteurs de La Tribune ont vu le film de Spielberg Il faut sauver le soldat Ryan qui montre comment tout est fait pour sauver l’unique enfant restant d’une famille qui a perdu deux fils dans la dernière guerre, ils ne pourront s’empêcher de penser que l’histoire des Imhaus dépasse de loin le drame de la famille Ryan. En effet, la guerre tuera le père (le commandant Théodore Imhaus), ses quatre fils et son frère. Et, pour faire bonne mesure son petit-fils sera tué en 1944 lors de la 2ème guerre mondiale ! Le premier mort sera François, mort des suites de ses blessures dès le début des hostilités en septembre 1914 ; puis suivront André et Émile, des jumeaux, tous deux morts à 20 ans en 1915 et dont les corps ne furent pas retrouvés ; et enfin le dernier des fils mourra « tombé au champ d’honneur » à la fin de la guerre, en juillet 1918. Tous faisaient partie de l’Infanterie coloniale. Quant au commandant Théodore Imhaus, engagé volontaire malgré son âge, il mourra héroïquement le 30 mars 1916. Voilà un extrait de sa citation : « Officier supérieur animé des sentiments les plus élevés. Venu sur le front à 61 ans, a donné un exemple de sa bravoure en se jetant revolver au poing, suivi de ses agents de liaison, sur une troupe ennemie qui tentait un encerclement. A réussi par son action héroïque à arrêter le mouvement enveloppant. A été tué d’une balle au cœur »(J.O R.F du 7 juin 1916)
La guerre de 14-18 a fait des milliers de morts et Madagascar a payé un lourd tribut. 3750 malgaches environ sont morts soit environ 10% des recrutés. Ils sont morts dans les combats, de leurs blessures, de maladie... ou dans le naufrage du Djemnah

Le naufrage du Djemnah

Le Djemnah, paquebot des Messageries Maritimes, est un bateau bien connu des Antsiranais de l’époque puisqu’il a assuré la ligne de l’Océan Indien entre 1895 et 1914. Tous les antsiranais, au début du siècle (le XXème) se souviennent du jour où, pris dans un terrible cyclone, le 15 décembre 1899, il se retrouve, à 4 heures du matin, à l’état d’épave, machines et gouvernail brisés. Heureusement, il sera sauvé, dans des conditions épouvantables par le Caravellas qui parvient à le remorquer jusqu’à Diego Suarez en le tractant par sa chaîne d’ancre. C’est sur ce même Djemnah que trouveront la mort, le 14 juillet 1918, 190 tirailleurs (dont beaucoup recrutés à Diego Suarez) de retour au pays à la fin de la guerre. En effet, ce jour-là, le Djemnah, parti de Marseille le 1er juillet est torpillé en Méditerranée par le sous-marin allemand UB 105 dans le sud de la Crète : 548 personnes périront dans ce terrible naufrage.

Le Djemnah à Marseille
Le Djemnah à Marseille
Transport postal et auxiliaire de type Iraouaddy mis à flot le 27/09/1874. 5 400 T, 124,9 x 12,1 m ; 1 machine à vapeur compound, 6 chaudières au charbon ; 2 900 cv ; 13-14 nds ; une cheminée ; 83 passagers en premières, 42 en secondes, 60 en troisièmes plus éventuellement 1 200 hommes en entrepont. Torpillé par le UB 105 (KL Wilhelm Marschall) en Méditerrannée dans le sud de la Crête, entre Benghasi et Derma par 33°12 N et 23°55 E. Il y a 548 morts, dont 190 tirailleurs Malgaches sur le chemin du retour après les combats.
Le retour à Madagascar

Quant aux tirailleurs qui reverront la terre natale, leur joie sera ternie par quelques désillusions. Le gouverneur Garbit, en conclusion de sa conférence avait averti : « Ces hommes constitueront une force économique nouvelle. Ils ont pris l’habitude de l’effort soutenu et discipliné ; ils ont aussi pris le goût de plus de confortable, du moins dans leur nourriture et dans leurs vêtement: ils devront travailler davantage pour le satisfaire. En outre, beaucoup ont appris un métier[...] Tous ces hommes constitueront des spécialistes précieux pour les entreprises de nos colons[...]Tout ceci, bien entendu, si nous savons les utiliser. Il n’en serait évidemment plus de même si ces Malgaches ne trouvaient pas, à leur retour chez eux, la bienveillance et la sollicitude à laquelle ils ont droit ». En réalité, les combattants de 14-18 ne trouvèrent pas toujours cette bienveillance que demandait Garbit. Bien sûr, ils ont été honorés : les troupes coloniales ont tenu un rang important dans les défilés de la Victoire et les corps des tirailleurs tués ont été inhumés avec les hommages qui leur étaient dus. Mais, en dehors des honneurs, les combattants et travailleurs de la guerre ne trouvèrent pas, à Madagascar, la gratitude à laquelle ils pouvaient s’attendre. Tout d’abord, ils retrouvent un pays en situation de crise. Le gouverneur Augagneur signalera, en 1918 que « les engagements de plus de 40.000 tirailleurs qui représentent la partie travailleuse de la population, et une saison agricole exceptionnellement mauvaise, ont eu pour résultat, en 1917, une diminution considérable de la production ». D’autre part, alors qu’on leur avait fait miroiter l’accès à la nationalité française, la citoyenneté a été octroyée « au profit des groupes dirigeants et non des tirailleurs qui les réclament à bon droit » (Chantal Valensky, Le soldat occulté). A Diego-Suarez, c’est Jean Ralaimongo, engagé volontaire en 1916, qui, avec d’anciens soldats, incarnera la révolte devant cette désillusion en défendant les thèses de la Ligue Française pour l’Accession aux droits de citoyens des Indigènes de Madagascar (LFADCIM) et qui animera la lutte pour la naturalisation en masse. Cependant, les « Anciens combattants » revenus dans leurs villages resteront dans l’ensemble des hommes estimés et respectés : ils ont traversé les mers, connu la France, côtoyé la mort et lutté au coude à coude avec les poilus français qui avaient appris à les estimer et à partager avec eux l’horreur et la fraternité de la guerre.

■ Suzanne Reutt

Enterrement à Diego Suarez d’un soldat mort en France
Enterrement à Diego Suarez d’un soldat mort en France

Les Tirailleurs de Diego Suarez Suarez(3) : Dans la guerre !

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Mardi, 01 Juillet 2014 08:27

Tirailleurs malgaches dans une tranchée-abri en 1915
Tirailleurs malgaches dans une tranchée-abri en 1915

Le 3 août 1914, l'Allemagne déclarait la guerre à la France et à la Serbie. Mais, dès le 1er août, la France avait déclaré la mobilisation générale. Quelles répercussions ces nouvelles eurent-elles à Madagascar, et principalement sur les militaires malgaches? Allaient-ils devoir partir en Europe?

1914-1915 : Seuls les français sont concernés...

La déclaration de guerre inquiéta les anciens militaires malgaches redoutant une mobilisation. Mais le Gouverneur Général Picquié fit savoir dans les Provinces que la mobilisation concernait uniquement les français. Cependant, d'après le décret du 24 septembre 1903, les malgaches engagés dans l'armée française restaient, après leur libération, inscrits dans la réserve et pouvaient être rappelés. Mais ces dispositions furent appliquées avec parcimonie (456 rappelés au 30 juin 1915). Il fut cependant envisagé de faire appel aux troupes de Madagascar pour des opérations en Afrique. Ainsi, la Dépêche malgache du 17 juillet 1915 informe ses lecteurs que « Dès le début des hostilités, une compagnie de marche dont une portion se trouvait à Tananarive et l'autre à Diego Suarez avait été mise à la disposition de nos Alliés, les Anglais. Cette compagnie devait, le cas échéant, se rendre soit à Dars-ès-Salam, soit en Afrique du Sud pour aider nos alliés. L'Armée allemande du Sud-ouest Africain s'étant rendue au Général Botha, notre compagnie de marche a été dissoute ». Il fut également question, en août 1914, d'envoyer deux bataillons au Cameroun mais on fit finalement appel aux troupes du Maroc. Il sembla donc inutile, dans cette première période de la Guerre d'utiliser les tirailleurs malgaches. Et ceci, d'autant plus que les opérations s'annonçaient bien sur le front français, notamment avec les succès remportés , lors de la première bataille de la Marne ,en septembre 1914, par le Général Joffre - que tout le monde connaissait bien à Diego Suarez - et qui avait stoppé l'avance allemande... Cependant, dès 1915 et surtout avec le début de la bataille de Verdun qui fait des centaines de milliers de morts, la France va avoir besoin de combattants.

Pourquoi pas des malgaches?
C'est ce que beaucoup, à Madagascar et en France commencent à penser et c'est ce qu'exprime la Tribune de Madagascar dans un article du 26 juin 1915 qui se demande pourquoi on n'utilise pas les tirailleurs malgaches qui pourraient rapidement devenir « une troupe d'élite ». Et le même journal donne la parole, le 20 juillet 1915 à un tirailleur (dont personne n'a vérifié l'identité!) qui s'exclame: « qu'avons-nous fait pour être indignes d'aller à l'ennemi ?»

Les premiers recrutements de soldats malgaches

La nomination du Gouverneur Général Garbit, en août 1914, va accélérer le recrutement de soldats malgaches : en effet, celui-ci va insister pour envoyer des combattants. Dans une conférence de 1919, il décrit les opérations qui ont présidé à l' envoi d'un premier bataillon : « Sur l'insistance de la colonie, un premier bataillon fut envoyé en France, composé uniquement de volontaires choisis parmi les tirailleurs du corps d'occupation, déjà en service, et qui ne perçurent, cette fois, aucune prime spéciale ». Ce premier bataillon, était formé de trois compagnies de 650 tirailleurs qui furent regroupés à Diego Suarez. Ce bataillon, qui comprenait vraisemblablement des tirailleurs du 3ème régiment de Diego Suarez rassemblait en fait des volontaires (cependant sélectionnés !) de toute l'île. Le départ des volontaires de Tananarive (une quarantaine) donna lieu à de grandes manifestations d'un enthousiasme sans doute organisé. La Tribune de Madagascar publie un « poème » à leur gloire:

« Ils sont partis les tirailleurs;
Ils ont quitté Tananarive;
Sur leurs chéchias pleuvaient les fleurs;
Ils vont au loin , sur l'autre rive,
Le cœur ardent, l'âme expansive,
Le regard fier et menaçant.»

En fait, l'enthousiasme guerrier n'était pas la seule raison de ces engagements. Garbit détaille d'ailleurs les moyens de persuasion employés : « Les procédés employés furent, en dehors de l'appât de la prime (variable suivant la catégorie de l'engagement) offerte par l'Etat: des « kabarys » (discours) patriotiques faits par les chefs indigènes, les administrateurs et le gouverneur général lui-même; des cérémonies militaires (revues, défilés, etc.) ; des représentations patriotiques, etc.». Cependant le Ministère de la Guerre s'inquiéta de la valeur de ces recrues: il demanda par télégramme « si sélection faite avec soin parmi races dont courage éprouvé- - intention étant les employer à opérations actives ». Sur les assurances de Garbit, le Ministère répondit : « Pouvez embarquer tirailleurs » et ce premier contingent de tirailleurs malgaches s'embarqua à Diego Suarez les 21 et 22 octobre sur l'Océanien et le Ville d'Alger.

Une « véritable armée d'indigènes »
Embarquement des troupes à Diego Suarez sur le paquebot Ville d’Alger
Embarquement des troupes à Diego Suarez sur le paquebot Ville d’Alger

La guerre devenant de plus en plus meurtrière, la France demanda au Gouverneur Général, fin 1915, d'envoyer un détachement d'un millier d'hommes. Le recrutement fut organisé par 2 décrets parus au Journal Officiel français du 18 décembre 1915. Ces décrets prévoyaient que les engagements étaient contractés pour la durée de la guerre. Les engagés recevaient une prime de 200 francs pour les unités combattantes (soit environ 670 euros). Par ailleurs, par un arrêté du 9 octobre 1915, une allocation journalière est accordée « aux familles des tirailleurs indigènes désignés pour servir hors de la colonie en vue de participer aux opérations de la guerre actuelle et qui remplissent les devoirs de soutien indispensable de famille ». Mais avant même la signature de ces décrets, le Gouverneur Général avait été invité à lever 4 bataillons malgaches qui seraient formés dans la colonie jusqu'en mars 1916. Le 19 février 1916 , on comptait 5943 engagements de volontaires mais le flux des engagements se ralentit vite et il fallut trouver d'autres moyens de persuasion que ceux évoqués plus haut par Garbit. D'autant plus que le Ministère de la Guerre demandait de plus en plus d'hommes... Garbit, d'ailleurs, dans sa conférence de 1919, évoque pudiquement certains de ces moyens : « Dans la suite, ces moyens furent complétés par la remise en vigueur , dans certaines régions, d'une vieille coutume indigène le « tsondrana », cadeau offert en supplément de la prime aux militaires indigènes partant pour le front, par ceux qui restaient, au moyen de cotisations volontaires; puis par l'emploi de recruteurs indigènes, chargés de renseigner leurs compatriotes et qui recevaient, à cet effet, par homme recruté par leur entremise, une prime payée par la colonie ». On peut imaginer les dérives qu'entraina l'usage de ces moyens... Le « tsondrana » devint un « véritable achat de mercenaires » (M.Gontard); les autorités firent de plus en plus pression sur les populations pour qu'elles fournissent des « volontaires » si bien que le « volontariat » devint de plus en plus un enrôlement forcé qui irrita non seulement la population malgache mais également les colons dont les ouvriers désertèrent les plantations et les entreprises. D'après Maurice Gontard, ces moyens de pression donnèrent les résultats attendus puisque « On eut, dans la seconde quinzaine d'août 1916, 280 engagements, 380 dans la première quinzaine de septembre, 447 dans la seconde. Du 16 octobre au 29 décembre 1916, 14 026 volontaires se font inscrire; en janvier 1917 : 8 494 ». Cependant, comme le dit Chantal Valesky (Le soldat occulté), on assista à « un recrutement en coups d'accordéon », le Ministère réclamant ou refusant alternativement les envois d'hommes pour la guerre. En effet, comme nous l'avons vu plus haut, et surtout au début des hostilités, la France doutait des qualités physiques et militaires des soldats malgaches. Par ailleurs, les protestations des colons se firent entendre de plus en plus fort ; enfin, les envois de troupes buttèrent contre l'insuffisance des navires susceptibles de les transporter. En tout, d'après le Gouverneur Garbit, 45 863 malgaches s'engagèrent, dont 41 355 combattants. Mais le recrutement de « volontaires » n'eut pas le même succès dans toutes les provinces : il fut important sur les plateaux mais beaucoup moins sur les côtes, et pour Diego Suarez, il ne représenta que 0,5 % des effectifs ! Si bien qu'après le départ de Garbit, qui s'était lui-même porté volontaire, on insista sur le recrutement dans les régions côtières pour « réparer d'injustes pressions faites sur les régions centrales ».

Diego Suarez, centre de tri.

Cependant Diego Suarez joua un rôle important dans la participation des tirailleurs à la grande guerre. D'abord comme centre de regroupement des troupes devant rejoindre la France. En effet, les volontaires de toute l'île ont souvent été regroupés à Diego Suarez. Nous avons vu plus haut que les premiers volontaires recrutés , notamment sur les plateaux, furent dirigés sur Diego Suarez. Quelquefois, les soldats mobilisés vinrent de plus loin. C'est ainsi que l'on peut lire dans Le Tamatave du 19 mai 1915 : « Un détachement de 50 tirailleurs pris parmi les races du sud, sera dirigé sur Diego Suarez par le prochain « Bagdad » en vue de compléter les deux nouvelles compagnies mobilisées du 3ème malgache ». Et parfois, de plus loin encore, puisque Diego Suarez fut un important point de regroupement des tirailleurs asiatiques avant leur départ pour la France. Le Tamatave du 26 février 1916 annonce : « Prochainement 2 steamers amèneront à Diego Suarez 1 200 tirailleurs tonkinois. Cet effectif pourra être augmenté ». Un mois plus tard, c'est la Dépêche malgache qui indique : « Le vapeur Derwent est attendu à Diego Suarez. Il a à bord 590 tirailleurs annamites. L'autre moitié du contingent suivra de près ». Peut-être d'ailleurs s'agissait-il des mêmes...

Tonkinois, Annamites... en tous cas la coexistence avec les tirailleurs malgaches ne fut pas toujours sereine. C'est toujours la Dépêche malgache qui signale à Diego Suarez, le 10 juin 1916, « une violente bagarre entre Annamites et Malgaches ».

C'est également à Diego Suarez que furent regroupés les soldats réquisitionnés de La Réunion dont le premier contingent , embarqué sur le paquebot Djemnah fut formé sur place avant son départ pour la France en mars 1915. En effet, le rôle de Diego Suarez ne se borna pas à celui de centre de tri. Diego Suarez fut essentiellement un centre d'instruction militaire pour les contingents recrutés. C'est également à Diego Suarez que se tient une des commissions médicales qui contrôlent l'aptitude des recrutés : y siégera sans doute le célèbre médecin Girard qui, blessé au front, est affecté en 1917 à l'hôpital de Diego Suarez. Cependant, si Diego Suarez a joué un rôle logistique essentiel dans l'envoi des recrutés, la plus grande partie des troupes déjà formées resta dans le Nord pour défendre la place qui constituait un élément important de la défense extérieure de la France.

(à suivre)

■ Suzanne Reutt


Les Tirailleurs de Diego Suarez(2) : Le baptême du feu

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Mercredi, 25 Juin 2014 06:23

« Exercices d’instruction des tirailleurs Skalalaves »
« Exercices d’instruction des tirailleurs Skalalaves »

En cette année anniversaire du début de la Grande Guerre, il nous a paru nécessaire d’évoquer les tirailleurs malgaches dont une grande partie furent stationnés à Diego Suarez. C’est même dans le Nord de l’Ile que furent créées les premières unités « indigènes1 »

Avant 1885: Les premiers combats

Comme nous l'avons vu dans l'article précédent, la France avait recruté, par l'intermédiaire du Colonel Pennequin, et avec l'appui de la Reine Sakalave Binao, un corps de tirailleurs sakalaves. Ces troupes, organisées dans des unités mixtes avec des soldats français, se trouvèrent engagées dans plusieurs affrontements contre les troupes hovas de la Reine Ranavalo, notamment à Anorotsangana où elles affrontent, le 18 octobre 1884, les troupes royales et à Andampy, le 27 aout 1885 où la victoire, revendiquée par les français, semble être revenue aux troupes merina. En 1885, les troupes recrutées par Pennequin sont ramenées à Diego Suarez, devenue possession française. Dans un rapport du 14 février 1886, le nouveau Gouverneur de Diego indique qu'il est nécessaire de les affecter au nouveau Territoire « pour ne pas subir la vengeance des merina ».

La guerre de 1894-1895

Après la rupture des négociations entre la France et le Gouvernement royal, les Tirailleurs de Diego Suarez vont devoir, à nouveau, affronter les « hova ». Le 19 décembre 1894, d'après Galli dans son livre La guerre à Madagascar : « le capitaine Jacquemin, des tirailleurs sakalaves, à la tête d'un détachement de ce corps, attaqua [...] un poste hova vers Antanamitarana et l'enleva d'assaut en infligeant à l'ennemi des pertes sérieuses ». Le 23 décembre 1894, 150 soldats merina s'attaquent au fort de Mahatsinjo où ils sont repoussés par les troupes françaises et « indigènes ». Le 24 décembre, la colonie de Diego Suarez est déclarée en état de siège et quelques ouvrages de défense sont construits à la hâte. Le 19 février 1895, les tirailleurs participent, sous la conduite du Commandant Pardes, à l'attaque du Point VI, à quelques kilomètress d'Antsirane, tenu par les Merina : ils perdent 7 hommes dans cette action. Il faudra attendre le 14 avril pour que les combats cessent , dans le Territoire de Diego Suarez, avec la prise du fort d'Ambohimarina, occupé par les troupes royales. Mais cette action, menée par le bataillon des volontaires de La Réunion, n'impliqua pas les Tirailleurs malgaches dirigés sur Majunga en appui des forces françaises débarquées. En effet, dès le début de l'année, un détachement comportant des troupes de marine et d'artillerie avait été embarqué à Diego Suarez, les 13 et 14 janvier, sur la Rance et la Romanche, pour Majunga, où il arriva le 16 janvier ...après la prise de la ville. Les tirailleurs participèrent cependant à la suite des combats, avec l'avant-garde du Corps expéditionnaire commandée par le Général Metzinger. Avec le bataillon d'infanterie de marine de Diego Suarez et une partie du régiment d'Algérie, ils s'emparent de Mahabo le 25 mars et de Marovoay le 2 mai 1895 .

Le casernement des « tirailleurs indigènes » à Ankorika
Le casernement des « tirailleurs indigènes » à Ankorika
Réorganisation du corps des tirailleurs après 1895

Entre 1895 et 1900, le corps des tirailleurs est réorganisé à plusieurs reprises. Le 17 janvier 1895, une dépêche ministérielle stipule que « l'ancien corps de tirailleurs de Diego Suarez formera le 1er Bataillon du Régiment de tirailleurs malgaches » (J.O de Madagascar et Dépendances). Le 26 septembre 1896 la Décision 67 prévoit que « Le Bataillon de tirailleurs malgaches faisant actuellement partie du Régiment Colonial, est rattaché au Régiment de tirailleurs malgaches » et que l'ancien bataillon de Diego Suarez devient le 2ème Bataillon. Mais ces décisions restent souvent de pure forme, les engagements étant la plupart du temps insuffisants (c'est ainsi qu'en 1895, seulement 7 Comoriens pourront être recrutés dans le corps des Tirailleurs de Diego Suarez !). A partir de 1900, l'Armée coloniale est profondément réorganisée. La décision du 28 décembre 1900 fixant la composition des régiments malgaches prévoit que ceux-ci doivent comporter 12 compagnies ; chaque compagnie est dirigée par 3 officiers français, 12 sous-officiers français ou malgaches et 188 hommes de troupe. Le 25 avril 1903, un décret crée le 3ème Régiment de Tirailleurs malgaches (dans lequel existe un fort contingent de Sénégalais !) et, en 1905 seront créées les compagnies de batteries mixtes et celles de conducteurs auxiliaires qui assurent l'entretien des pièces d'artillerie et sont chargées de la défense de la place de Diego Suarez.


En 1904 la situation à Diego Suarez est la suivante (du moins sur le papier !) :
— 13ème régiment d'infanterie (3 bataillons),
— 3ème régiment de tirailleurs sénégalais (4 bataillons),
— 1 bataillon de tirailleurs sénégalais pour la défense de Diego Suarez,
— 1er, 2ème, 3ème régiments de tirailleurs malgaches ayant 3 bataillons chacun,
— 1 bataillon de légion étrangère et un 2ème bataillon de légion étrangère pour la défense spéciale du Point d'Appui,
— Artillerie coloniale : 1 régiment de 8 batteries mixtes dont moitié à pied et 2 compagnies d'ouvriers auxiliaires.

La vie quotidienne des tirailleurs à Diego Suarez avant la guerre de 1914
Les tirailleurs indigènes vivent en famille, dans des camps à l'installation sommaire. En service, ils portent leur uniforme mais pendant longtemps leur tenue ne sera pas vraiment fixée: il faudra attendre 1905 pour que les recrues malgaches aient un uniforme réglementaire, et la guerre de 1914 pour qu'ils portent des brodequins. De plus, une certaine fantaisie est admise suivant l'origine des tirailleurs. Nous l'avons vu, les tirailleurs « malgaches » de Diego Suarez sont loin d'être tous malgaches : on trouve dans leurs rangs, en plus des soldats venus de tous les coins de l'île (au début de la colonisation, les habitants des Plateaux sont réticents à l'idée d'être en garnison à Diego Suarez mais ils finiront par être assez nombreux par la suite) ; des Comoriens en nombre important, des « zanzibarites » et des sénégalais. Cette tour de Babel pose des problèmes de communication, d'autant plus que les officiers sont français. Le commandant du corps des tirailleurs de Diego Suarez, essaiera bien de composer un Petit interprète du soldat mais celui-ci, très rudimentaire d'ailleurs, ne pourra permettre de s'adresser qu'à une fraction des troupes parlant le malgache des Plateaux. D'où des tensions constantes et de nombreuses mutineries comme celle d'Ankorika , en 1897. Ou des affrontements, comme celui qui oppose, en 1903, sénégalais et malgaches du 3ème Régiment de tirailleurs et qui fera 3 morts (un officier et 2 tirailleurs) et une vingtaine de blessés.S'ils ont été dans une certaine mesure utilisés contre les rebellions des premières années de la présence française, (malgré les réticences du Général Voyron qui avançait que « les effectifs et les nécessités du recrutement s'y opposent pour le moment ») ,ils seront ensuite occupés à toutes sortes de tâches : des manœuvres militaires, bien sûr mais aussi des emplois qui dépassent la fonction pour laquelle ils ont été recrutés. Ils seront notamment souvent utilisés comme terrassiers pendant la construction du Point d'Appui de Diego Suarez. Ils sont aussi, parfois, chargés de la police. Le journal antsiranais La Cravache informe ses lecteurs, le 24 janvier 1909 qu'« un poste de police composé de trois tirailleurs et d'un caporal fut installé chez le gardien de la prise d'eau d'Antanamitarana ». En 1911, lors d'une série d'agressions perpétrées par les Antaimoros dans la région de Diego Suarez, ils seront chargés de réprimer ces troubles. D'ailleurs, une note circulaire de 1908, invite les Administrateurs à réserver aux anciens tirailleurs les engagements dans la garde indigène. De façon plus étonnante, une dizaine de tirailleurs de Diego Suarez seront affectés à la garde de l'Exposition Universelle de Paris en 1889 où ils auront un grand succès...

Tirailleurs malgaches
Tirailleurs malgaches
L'approche de la guerre

Les années précédant la guerre vont voir le renforcement du corps des tirailleurs, notamment à Diego Suarez après le départ de la Légion Etrangère, en 1905. Cependant, les colons font preuve d'une certaine méfiance pour ces troupes indigènes, comme on peut le voir dans cet article du Signal de Madagascar du 19 mars 1908 intitulé : « Contre le départ des troupes blanches » : « Ce n'est pas avec des tirailleurs indigènes que, le cas échéant, nous pourrions maîtriser une rébellion [...] ils n'ont pas encore donné assez de preuves de leur loyalisme pour cela ». Force est de constater une certaine désorganisation dans la défense de Diego Suarez, due en partie au manque de moyens. Le 3ème régiment malgache, en garnison à Diego Suarez, ne recevra ainsi aucune dotation pour le matériel et l'armement. Par ailleurs, si la menace d'une guerre se précise, personne ne semble savoir d'où viendront les attaques éventuelles. La Revue des questions économiques et politiques de mai 1914 qui évoque « la constitution récente d'un « Comité de défense du point d'appui de Diego Suarez » constate que la rade est « vide de tout élément de défense mobile ». Et effectivement, avec le départ de la Légion Étrangère et celui du bataillon sénégalais (affecté à Majunga), la garnison de Diego Suarez a perdu une grande partie de ses effectifs.


Au 1er mai 1914, les troupes stationnées à Diego Suarez sont les suivantes :
— Le bataillon d'infanterie coloniale de Diego Suarez,
— le 3ème régiment de tirailleurs malgaches,
— le 7ème régiment d'artillerie coloniale.

Le 3ème régiment de tirailleurs malgaches dont l'Etat-major se trouve à Antsirane (sous le commandement du Lieutenant-Colonel Fraysse), est organisé en 3 bataillons et 12 compagnies :
— 1er bataillon : 1ère-2ème-3ème et 4ème compagnies - Etat-Major à Antsirane. Plus précisément, les 1ère, 2ème et 4ème compagnies sont à Ankorika. La 3ème compagnie à Anosiravo (Montagne des français, où l'on peut encore voir les restes des casernements)
— 2ème bataillon : Etat-Major à Cap Diego, 5ème compagnie à Ambohivahibe, Amponbiantambo, Ambakirano, Ambandrofo, Sadjovato et Loky, 6ème-7ème-8ème compagnies à Cap Diego
— 3ème bataillon : Etat-Major à Antsirane, 9ème compagnie à Sakaramy, 10ème, 11ème et 12ème compagnies à Antsirane, au Camp Mehouas.

Si les quota prévus sont respectés (188 hommes par compagnie), les tirailleurs de Diego Suarez doivent atteindre le nombre de 2948, mais il n'est pas sûr que cela ait été le cas, compte-tenu des difficultés de recrutement. Quant aux officiers... En théorie, il doit y avoir, à la tête de chaque compagnie, 3 officiers français et 12 sous-officiers. Si l'on en juge par les listes indiquées par l'Annuaire Général de 1914, c'est loin d'être le cas et de nombreuses compagnies (la 3ème, la 5ème, la 6ème, la 10ème) n'ont qu'un seul officier français. Quant aux 8ème et 9ème... elles n'en ont aucun ! Sans doute en raison du rapatriement de leurs officiers pour la guerre qui commence en Europe et dans laquelle les tirailleurs malgaches seront entraînés.
(à suivre)
■ Suzanne Reutt

1 Je rappelle ici que le mot indigène n'a pas en français une connotation péjorative: il désigne une personne originaire du pays où elle habite.


Les Tirailleurs de Diego Suarez (1)

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Vendredi, 02 Mai 2014 12:54

Le camp des Tirailleurs Malgaches de Tanambao

En cette année anniversaire du début de la Grande Guerre, il nous a paru nécessaire d'évoquer les tirailleurs malgaches dont une grande partie furent stationnés à Diego Suarez. C'est même dans le Nord de l'Ile que furent créées les premières unités « indigènes1 »

Des casques noirs aux tirailleurs sakalaves de Diego Suarez

Dès 1883, la France avait mis sur pied, dans le Nord de Madagascar, et sous la direction du capitaine Pennequin, un corps de tirailleurs sakalaves. En fait, ce corps était surtout composé de Comoriens et d'Arabes de Zanzibar. Cette unité, dite des « casques noirs » sera bientôt engagée contre les troupes hovas, dans les opérations au sud de Diego Suarez.Le 31 mars 1885, à la faveur des opérations militaires dans le Nord, Pennequin parvient à former une compagnie de 100 hommes recrutés grâce à la Reine sakalave Binao, qui fournit des hommes et du riz pour les nourrir. Il tente de créer un véritable bataillon indigène mais en est empêché par sa hiérarchie. Binao ayant dénoncé leur accord, Pennequin va se tourner vers le roi antankarana Tsialana, dès octobre 1885, pour recruter sa compagnie. Après le traité du 17 décembre 1885, accordant le Territoire de Diego Suarez à la France, les tirailleurs sakalaves sont affectés à la nouvelle colonie de Diego Suarez et prennent le nom de « Compagnie des tirailleurs sakalaves de Diego Suarez ». Les tirailleurs, recrutés par contrat et payés par la Marine, sont dotés d'uniformes et de fusils Chassepot. Par décret du 8 février 1888, la compagnie de tirailleurs sakalaves est affectée à la défense du poste militaire de Mahatsinjoarivo avec 2 compagnies de disciplinaires, dont l'ensemble formera une garnison de 300 hommes.
Le savant de Kergovatz, qui visite le camp en 1892, nous donne, à cette occasion une vision épique des tirailleurs: « Le fort de Mahatsinzo n'est encore qu'une longue caserne défensive en pierre, entourée d'une forte palissade. Les courtines et les bastions sont tracés, mais on n'a pu encore commencer les terrassements. On attend que le camp des tirailleurs de Diego Suarez, qui, pour le moment, est établi autour de la caserne, ait été transporté aux environs immédiats d'Antsirane. Le capitaine Lamiable, commandant des tirailleurs, voulut bien me faire visiter le camp et m'expliquer par quelles vicissitudes a passé ce malheureux corps indigène. Formé pendant la guerre de Madagascar sous le nom de tirailleurs sakalaves, il rendit les plus grands services et se distingua sous le commandant Pennequin au combat d'Andampy, le 27 août 1885, où soixante tirailleurs, non seulement protégèrent la retraite d'un peloton d'infanterie de marine tombé dans une embuscade, mais encore, immobiles à leur poste, autour du commandant blessé, attendirent sans broncher la charge furieuse de quinze cents Hovas, ne firent feu qu'au commandement et finalement mirent l'ennemi en complète déroute. La paix faite, le gouvernement eût bien voulu conserver ce corps indigène dont la solidité au feu était si bien démontrée, mais, d'un côté, le résident général, M. Le Myre de Villers, craignait d'indisposer les Hovas en ouvrant les rangs de notre armée aux Sakalaves que nous leur avions abandonnés; d'autre part, l'argent manquait, et pendant cinq années tout ce que l'on put obtenir en plus de l'ordre de ne pas laisser la compagnie se dissoudre, fut une somme de 50 centimes par homme et par jour, et le traitement d'un capitaine commandant sans l'assistance d'aucun autre officier ».

Le décret du 3 mai 1892 : les « tirailleurs de Diego Suarez »
Tirailleurs Malgaches avec leurs épouses

Selon Gallieni, dans son livre La Pacification de Madagascar, la compagnie subsista sous le nom de « tirailleurs sakalaves » jusqu'au mois de mai 1892. Par décret du 30 mai 1892, elle fut dédoublée en deux compagnies et constitua les « tirailleurs de Diego Suarez ». L'abandon du mot « sakalave » tenait au fait que la moitié du corps était composé de Comoriens, le reste étant composé d'Antankaranas, de « Zanzibaristes » (Gallieni) et de Sakalaves du nord-ouest. Toujours d'après Gallieni, « ce décret stipulait que l'effectif pouvait être porté à un bataillon [...] et que le recrutement devait s'opérer parmi les indigènes par voie d'engagements et de rengagements d'une durée fixée uniformément à 3 ans avec prime de 30 francs » (soit environ 125 000 ariary de nos jours). Chaque compagnie de ce bataillon devait comprendre 3 officiers et 7 soldats européens, et 110 sergents, caporaux ou soldats indigènes. Cependant, il semble que le recrutement des tirailleurs n'allait pas de soi et qu'il était nécessaire d'aller les chercher ailleurs que dans la Grande Île. Le Journal Officiel de Diego Suarez du 5 mars 1895 nous apporte une preuve de ces difficultés dans l'entrefilet suivant : « M.Lanzenac, Secrétaire-Général, chargé par décision du 26 novembre 1894 de se rendre aux Comores, en vue de recruter les hommes nécessaires pour parfaire l'effectif réglementaire des Compagnies de tirailleurs de Diego Suarez, étant de retour après avoir accompli sa mission, reprend ses fonctions ». Les fameux « tirailleurs de Diego Suarez » étaient donc surtout recrutés aux Comores !

Le décret du 13 janvier 1895 : les « tirailleurs malgaches »

L'évolution de la situation et l'expédition de Madagascar vont amener de nouveaux changements pour les tirailleurs de Diego Suarez. Le 13 janvier 1895 le bataillon devient « 1er bataillon du régiment malgache ». Régiment qui, d'après Gallieni « pourra être porté à 4 bataillons, et les officiers des compagnies à 16 ». Le recrutement devait se faire par engagement volontaire et les rengagements de 2 ou 3 ans avec prime de 100 francs pour 3 ans (330 000 MGA environ) et de 40 francs pour 2 ans. Par circulaire ministérielle de la Marine du 21 février 1895, ce bataillon, appelé à faire partie du corps expéditionnaire de Madagascar, devint le bataillon malgache du régiment colonial et fut envoyé à Majunga. Dans la foulée, un 2ème bataillon du régiment malgache (dont le recrutement ne fut achevé qu'en 1896) fut formé à Diego Suarez. Il comprenait la 5ème compagnie, avec les éléments laissés à Diego Suarez au départ du 1er bataillon. Les 6ème, 7ème et 8ème compagnies furent formées dans le courant de 1895. Quant à la 7ème compagnie elle fut envoyée à Tamatave.

L'équipement des tirailleurs
C'est encore grâce à M. de Kergovatz que nous connaissons l'uniforme des premiers tirailleurs de Diego Suarez : « C'est grâce à l'énergie, au dévouement, à l'ingéniosité des capitaines qui se sont succédé à la tête de la compagnie, grâce aussi au concours tout patriotique du service local, qui employa ses premières ressources à donner un uniforme aux tirailleurs, que l'on a pu attendre le décret récent organisant deux compagnies de tirailleurs de Diego Suarez, en attendant le bataillon complet. Ils ont fort bon air, ces tirailleurs, sous leur uniforme provisoire ; chéchia, blouse bleue à parements et pattes rouges et pantalon blanc ». L'uniforme évoluera au fil des temps mais des constantes demeureront : la chéchia rouge, le pantalon blanc et les bandes molletières.

Les installations des tirailleurs
Comme nous l'avons vu, les premiers tirailleurs furent affectés au fort de Mahtsinjoarivo dont nous pouvons encore voir la silhouette au-dessus de l'aérodrome d'Arrachart. C'est encore Kergovatz qui nous décrit leurs installations : « Leurs cases couvertes en tôle s'alignent sur deux rangs autour de la place d'armes. Des femmes et des enfants, en grand nombre, animent les rues du camp, car les mœurs du pays exigent que le tirailleur soit autorisé à vivre en famille, et sa ration de riz est calculée pour qu'il puisse le faire sans trop de gêne. Le capitaine commandant dirige comme un patriarche toute cette tribu : il décide des mariages et des divorces, accommode les querelles et pourvoit à l'instruction des enfants, qui s'assoient à l'école à côté de leurs pères. Une école du soir a même été ouverte, et c'est la plus suivie, grâce à une lanterne magique dont les projections servent d'intermède instructif ». Dès 1893, le déménagement annoncé par Kergovatz est réalisé : les tirailleurs vont occuper les beaux bâtiments du quartier militaire et de Tanambao. Le député de Diego Suarez, Henri Mager, écrit dans La science illustrée : « Le développement des casernes de la colonie est considérable ; sur le plateau d'Antsirane ont été construits les quartiers de l'artillerie et les quartiers de l'infanterie, avec, en avant, plus au sud, les casernes des tirailleurs ».
Cependant, comme le dit Kergovatz, les tirailleurs vivent en famille. Les casernes servent aux exercices militaires mais les tirailleurs vivent dans des camps aux installations rudimentaires: simples cases en « falafa » ou, plus tard, en bois sous tôle. Les conditions sanitaires dans lesquelles vivent les tirailleurs ne devaient pas être excellentes si l'on en juge par le taux important de décès dus à la maladie, notamment au beri-beri (maladie provenant d'une mauvaise alimentation) et aux maladies vénériennes. Sous la plume d'Henri Mager, nous pouvons lire, dans La Science Illustrée une évocation émouvante de l'enterrement d'un tirailleur au cimetière de Cap Diego (NDLA : je profite de cette occasion pour déplorer le pillage des tombes de ce cimetière ! NDLR et qu’il n’ai pas été inclu dans le programme de réhabilitation actuellement mené par l’Ambassade de France) : « J'ai eu l'occasion d'assister, il y a quelques jours, à l'enterrement au cimetière du Cap d'un tirailleur mort à l'hôpital de cette maladie, dite le beri-beri, qui est assez fréquente chez les indigènes. C'est sur voie ferrée, presque en chemin de fer, que les morts sont conduits au cimetière par le piquet d'honneur; la plate-forme est trainée par un mulet; le sourd glissement des roues de fer sur les rails, l'immobilité de la plate-forme, la marche lente du convoi, presque à l'aube, donnent à cet enterrement, quelque original qu'il soit, le caractère impressionnant qui convient à ces choses tristes ». 20 ans plus tard, c'est de façon plus violente et plus anonyme que des tirailleurs trouveront la mort... Mais nous verrons cela dans le prochain numéro de La Tribune !
■ Suzanne Reutt

Qu'il me soit permis de saluer ici le travail de mémoire effectué par les élèves des Lycées Français de Madagascar, à travers leur projet : « TIRAERA, La Grande Ile dans la Grande Guerre »

1 Je rappelle ici que le mot indigène n'a pas en français une connotation péjorative: il désigne une personne originaire du pays où elle habite.


Un siècle d'urbanisme à Diego Suarez - 4ème partie : Une ville au charme caché...

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Mercredi, 15 Janvier 2014

La rue Colbert au début du XXe siécle

Nous avons vu dans les articles précédents que la ville d’Antsiranana s’était totalement transformée entre 1885 et 1905,et principalement entre 1900 et 1905, lorsque Diego Suarez était devenu « Point d’Appui de la flotte ». Cependant, malgré les progrès accomplis, Antsiranana n’a jamais eu le charme des autres villes de Madagascar, notamment de Tananarive et de Tamatave.

Même Mortages, le découvreur des mines d’or d’Andavakoera, qui s’est toujours posé en défenseur inconditionnel de sa bonne ville de Diego Suarez, reconnaît : « Qu’est-ce qu’on n’a pas dit de Diego Suarez ! Sa poussière rouge, le vent de la mousson et bien d’autres choses encore, et sur l’urbanisme de la ville ; ici, la critique est méritée, mais ce n’est pas la faute de ses habitants mais bien celle de l’Administration qui aurait dû prendre, dès que Diego Suarez commença à marquer de l’importance, les mesures d’urbanisme propres à assurer à cette ville une symétrie qui lui aurait donné une figure de ville, à rivaliser un tant soit peu avec ses voisines, Majunga et Tamatave. Pour ne pas l’avoir fait, les colons qui ont construit, beaucoup construit, ont élevé les bâtiments sans qu’aucun plan d’urbanisme ait vu le jour; cette lacune est la cause que la ville de Diego Suarez n’est pas homogène comme elle devrait l’être ».

Une ville non « homogène »

Cette critique, d’une ville qui manque d’harmonie a souvent été faite à l’encontre d’Antsiranana. En effet, il n’y a pas, surtout au début du XXème siècle, une ville mais des villes d’Antsiranana: la ville militaire d’abord, dont chacun s’accorde à reconnaître qu’elle se déploie de façon régulière, avec des avenues larges, bien aérées, bordées de casernes qui auront été les premiers bâtiments en dur de la ville et qui témoignent d’ une recherche certaine dans l’architecture. Le Général Lyautey, peut-être pas complètement impartial, l’évoque ainsi dans ses Lettres de Madagascar : « A Antsiranana existaient déjà de beaux établissements militaires, des casernements pour tout un corps de défense et, je dois le dire, les casernements coloniaux les mieux conditionnés que j’aie vus jusqu’ici. C’est presque du Singapour : aération, surélévation au-dessus du sol, plantations, tout y est; c’est hygiénique, gai, « gemüthlich » ; et quelle vue ils ont de leur véranda, les mâtins !»
La ville européenne ensuite, d’abord groupée autour de la rue Colbert . Cette rue, dans un premier temps, s’arrête au ravin Froger qui la coupe transversalement au niveau de l’actuelle Vahinée. Elle sera ensuite prolongée jusqu’à l’Octroi (Place de la Mairie) et restera bordée (et ce jusqu’à nos jours), de bâtiments hétéroclites : maisons en bois, maisons en dur, bicoques et palais...
Enfin, la ville ou plutôt, les villes « indigènes ». La première d’abord, le village malgache de la Place Kabary: un amoncellement de cases en « falafa » serrées les unes contre les autres dans une sorte de défi permanent aux incendies et pataugeant dans la poussière en saison sèche et dans la boue en saison des pluies. La seconde ensuite, Tanambao, morcelée par des rues à angles droits et qui ressemble à un coron.

Les « coupables »

Pour Mortages et pour la plupart des habitants, c’est l’Administration qui n’a pas fait son travail. Pourtant, un Plan d’Alignement a été formé en 1901, et a été – dans l’ensemble – exécuté. D’autre part, l’Arrêté de 1905 sur l’Urbanisme prévoyait, dans le détail, la largeur des rues, la nature des constructions et des clôtures, les évacuations d’eaux pluviales et usées etc.
Alors? Il semble bien que les louables principes, édictés dans l’Arrêté d’urbanisme aient eu du mal à se traduire dans la réalité. Il faut dire que la tâche n’était pas simple pour des Administrateurs qui « débarquaient » à tous les sens du terme, dans une ville qui ne ressemblait à rien de ce qu’ils avaient connu et dans laquelle ils faisaient généralement un bref séjour. Nous avons vu dans l’article précédent comment les habitants étaient appelés à laver le trottoir devant chez eux à grande eau en saison sèche...dans une ville où l’on se battait, certains mois, pour obtenir un bidon d’eau !
Par ailleurs, l’Administration civile devait défendre ses maigres ressources en face d’une Administration militaire beaucoup plus largement dotée.
Enfin, il semble que le partage des tâches et des devoirs ait été mal réparti entre le pouvoir central et le pouvoir local. C’est ainsi que l’immeuble de la Résidence appartient à la Colonie (c’est à dire au Gouvernorat Général) qui en a la jouissance mais les travaux d’entretien du bâtiment reviennent à la Commune ! (Séance du 9 octobre 1924 du Conseil Municipal)

La plus vilaine ville de Madagascar !

Cependant, et à toutes les époques, la responsabilité des insuffisances d’Antsiranana fut attribuée par la population à l’incompétence des autorités.
Voici ce que l’on peut lire dans La Cravache Antsiranaise du 8 novembre 1908 : « Le thalweg de la ville rendait pourtant commode l’établissement et l’entretien d’une belle bourgade coloniale mais sans doute l’incapacité et la mauvaise volonté de l’Ingénieur chargé du Service ont fait d’Antsiranana la plus vilaine ville de Madagascar ».
Qu’est-ce que l’on reprochait donc aux édiles sur le plan de l’urbanisme ? Et bien à peu près tout : la saleté des rues, l’état d’abandon de certaines bicoques ou de certains quartiers, les chiens errants, les défauts de construction des bâtiments publics (notamment le Tribunal et le Château d’eau), le manque de jardins ou leur état déplorable, les « cloaques » (surtout autour de l’hôpital), le manque de lumière, l’excès de bruit... Et j’en passe...
Pourtant, à la même époque (1908) qui voit La Cravache Antsiranaise se déchaîner, l’Annuaire Colonial signe un satisfecit : « De nombreuses maisons particulières en maçonnerie s’élèvent chaque jour. Ainsi toutes ces constructions et améliorations commencent-elles à donner à Antsiranana un aspect très agréable qui contraste singulièrement avec la physionomie de la ville telle qu’elle était il y a quelques années ».
La plus vilaine ville... Un aspect très agréable... Qu’en est-il exactement ?

Des progrès certains

L’extension de la ville
D’abord, à partir de 1900, la ville se déploie. A partir de 1908, une série de « réquisitions », en date du 12 mars 1908,vont permettre à la commune de se rendre maître d’un certain nombre de propriétés qui formeront :
- le quartier de la Ville-Basse (Req. 1685D) où la ville obtient un hectare de terrain compris entre la mer, le quartier militaire, la rue Flacourt et la rue Richelieu,
-le quartier du D’Estaing (Réq. 1686D) qui couvre à peu près les environs de la Résidence jusqu’à la Place Kabary dans un sens et la rue Flacourt de l’autre (un hectare),
- le quartier Colbert (Req 1687D) qui comprend la partie centrale de la rue Colbert jusqu’à la rue Carnot ainsi que l’actuelle rue de la Marne (1ha60 ares),
- le quartier du Fort-Melville (Réq.1689D) qui se déploie autour de la cathédrale en comprenant la rue Carnot et en s’étendant jusqu’au quartier militaire (1ha 50 ares)
- le quartier du Petit-Marché (réq.1695D) d’une superficie de trois hectares et qui marque les limites de l’agglomération puisque, groupé autour de la rue Lafayette il se termine au nord par des « terrains non lotis »,
- le quartier de Belle-Vue (Réq. 1692D) qui va de la rue Beniowski au Polygone (3 hectares).
Sur ces terrains vont pouvoir s’ouvrir de nouvelles rues et des constructions nouvelles.

De nouvelles constructions
Ces réquisitions vont permettre d’établir de nouveaux bâtiments publics et de nouvelles maisons particulières qui vont remplacer les bicoques en bois ou en falafa des débuts de la ville. Nous parlerons dans un prochain article des bâtiments remarquables de Diego Suarez, dont beaucoup seront construits à cette époque. Mais au niveau de la construction individuelle, c’est à partir de ce moment-là qu’apparaissent les maisons qui, lorsqu’elles subsistent, font encore le charme de Diego Suarez. Maisons le plus souvent en dur, mais quelquefois en bois, à l’architecture créole marquée par les colonnades (maisons du centre de la rue Colbert ou de la rue de la Marne), ou magnifiques palais indiens de la rue Colbert ou de l’Octroi.
L’éclairage
Dans la rue Colbert, jadis éclairée chichement par « quelques lumignons fumeux » (d’après ce que l’on peut lire dans la lettre d’un marin en 1902), vont apparaître, à partir de 1905, de somptueux réverbères en fonte, qui feront dire à la Gazette Agricole : « Antsiranana, qui était presque désert il y a quatre ans, se transforme peu à peu en une ville qui, au fur et à mesure des ressources disponibles est dotée progressivement de toutes les commodités européennes: éclairage public, trottoirs, adduction d’eau, égouts ». Et l’Annuaire de 1910 saluera « L’extension et l’embellissement de la ville ».
Et pourtant...

La litanie des reproches

Tout cela ne parviendra pas à satisfaire les habitants. Il suffit d’ailleurs de consulter les photos de l’époque pour constater la proximité du pire et du meilleur au niveau de l’urbanisme. Les journaux de l’époque vont être la caisse de résonance des récriminations des habitants de la ville.
Que reproche-t-on à Antsiranana ?
- La persistance des maisons insalubres
Dans sa séance du 9 octobre 1924 le Conseil Municipal constate : « Diego Suarez présente dans son ensemble tous les caractères d’une ville insalubre [...] Les habitations [...]après avoir été édifiées en violation des règles qui régissent les constructions dans les centres urbains, ne sont l’objet que d’entretiens les plus sommaires » et la Commission d’hygiène demande la destruction ou l’interdiction d’habiter des masures les plus insalubres... dont pourtant beaucoup subsisteront jusqu’à nos jours.
- Le manque d’harmonie de ses constructions
Dans un assez long article paru le 21 avril 1928, intitulé Un peu d’urbanisme l’auteur constate « que chacun fait à peu près comme bon lui semble, et je suis amené à rechercher ce que la municipalité a pu prévoir pour les façades sur rue ». Et il précise son idéal (auquel nous souscrivons !) : « Les immeubles ayant balcon pris sur la rue, comme ceux rue Flacourt, du Comptoir d’Escompte, Spyliopoulos, Giuliani, offrent un coup d’œil agréable et un abri apprécié contre le soleil [...] Pourquoi ne pas faire une obligation à tous ceux qui construisent rue Colbert d’établir ainsi, devant leurs immeubles, des balcons pris sur la rue, soutenus par des colonnes en ciment armé, dans les mêmes genres et dimensions que ceux déjà construits?
Ce serait prévoir un ensemble de bon goût et plaisant par la répétition des mêmes constructions. La rue Colbert avec de chaque côté des balcons et leurs colonnades serait bien pimpante »
.
Hélas! Non seulement cette suggestion ne sera pas retenue mais, deux ans plus tard, la Gazette du Nord constatera avec indignation « Partout ailleurs, à l’étranger, en Inde, Chine, à Majunga même s’élèvent des rues munies d’arcades, genre rue de Rivoli.
On peut y goûter, en plein midi la fraîcheur et l’ombre; le soir, c’est une agréable promenade. Pour favoriser l’édification de ces vérandas, nos conseillers municipaux n’ont rien trouvé de mieux que de les frapper d’un impôt exorbitant et prohibitif [...] Résultats : une ville qui nous fait honte »
.
Les jardins suspendus d’Antsiranana
Reproche récurrent de la population vis à vis de la municipalité: Antsiranana est une ville sans jardins. La Gazette du 12 février 1926 déplore : « Il n’existe à Diego Suarez aucun jardin public ». Pourtant, dans un autre article de 1925, toujours dans la Gazette, on peut lire:  « Nous avons connu le square Joffre, le square Clémenceau et la Place de la Résidence verdoyants et fleuris ».
En fait, selon la formule d’un éditorialiste de la Gazette du Nord, Antsiranana est la ville des « Jardins suspendus ». Non pas qu’elle offre la magnificence des jardins de Babylone mais parce que « Ceux d’Antsiranana ne leur sont comparables que sur un point : leur entretien seul est suspendu ».
Suivant les époques – et suivant le Maire en exercice – Diego Suarez aura ou n’aura pas de jardins : le manque d’eau ou le manque d’argent pour rétribuer un jardinier servant de prétexte pour abandonner l’entretien des jardins. Aussi, la Gazette, toujours elle, se réjouit-elle en 1927 : « Il y a quelque chose de changé à Diego Suarez, le jardin du square de la musique a repris une allure fraîche et coquette, devant la Résidence, il en est de même [...] Est-ce que les jardins publics sortiraient de leur léthargie ?»

Des efforts d’urbanisme inaboutis

La ville d’Antsiranana a connu de nombreux projets et de nombreuses tentatives d’embellissement qui n’ont pas toujours abouti ; des explications ont souvent été avancées : le climat, responsable du manque d’eau, des vents desséchants, de la poussière. La valse des Administrateurs qui se succèdent à un rythme qui ne permet pas l’aboutissement des travaux d’envergure. L’indifférence d’une population en grande partie originaire d’autres régions ou d’autres pays. Dans tous les cas, les visiteurs qui se sont succédés pendant un siècle se sont souvent montrés sévères envers l’urbanisme de Diego Suarez. Jean d’Esme qui visita la ville en 1928 exprima sa déception dans son récit L’Ile rouge : « De toutes les cités qui hérissent l’Ile Rouge, sans doute est-ce la plus banale avec ses maisons blanches entourées de vérandas, ses rues rectilignes bordées de bazars et de magasins...» Mais il accorde à la ville « une certaine originalité » et – surtout – il reconnaît que la nature « avait sans doute épuisé ses trésors à créer cette baie dont l’unique splendeur a dû lui paraître plus que suffisante ».

Malgré toutes ses imperfections en matière d’urbanisme, la ville de Diego Suarez peut toujours offrir au touriste le magnifique panorama dont elle bénéficie. Mais ses habitants souhaiteraient peut-être que la ville offre à la baie un écrin digne de sa splendeur !

■ S.Reutt


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